Je l'avais
trouvé. Et il ne fallait surtout pas que les autres le sachent. Les
autres que je ne voyais pas. Le soir parfois je les entendais. Je me
faufilais comme à l'époque où les forêts étaient encore, où je
me plaçais en fonction du vent, pour ne pas être repéré. Je me
fais invisible, caméléon dans ces ruines noircies. Tous ces verres
brisés. Je faisais partie de ces rares qui les avaient vus les
gratte-ciels. Si élevés, qui reflétaient les nuages et la lumière
du jour, de leur surface miroitant, façades lisses, monstres
élancés. Tout s'est retrouvé éparpillé au sol. Ça a secoué
terriblement, le sol s'est déchiré, s'est dérobé sous nos pas.
C'était la chute. Du monde. De notre monde d'avant. Ces villes
arrogantes avaient été englouties par les entrailles de la terre.
En un claquement de doigt. Par vagues, successives. Une ville après
l'autre. Le cœur de la Terre les avait répertoriés, une liste de
coordonnées GPS, mais sous la notation de notre sous-sol. Vivant.
Hors de lui. Qui nous a soufflés. On aurait tout pu imaginer, sauf
cela. Nous lui en avions trop fait voir. Patiente, elle a attendu,
puis un soir elle a éternué. Nous a ri au nez. Plus rien
maintenant. Il n'y a plus rien. Je n'ai pas besoin de le savoir, plus
d'actualités, plus d'images, un pressentiment. Celui qui me tient en
vie, encore.
Reviens à ton
instant. Ne te disperse pas. Cet instant peut te perdre si tu n'es
pas vigilant. Nous n'avons plus que cela. Nos instants. Un seul est
déjà l'équivalent d'une vie, longue. Enfin. Peut-être pas. Tout a
changé pour moi. Maintenant j'ai une issue. J'ai un avenir, j'ai de
nouveau un présent. Mon double. Animal. Je l'ai trouvé. Ce n'était
donc pas des légendes. Ces vieilles histoires ancestrales étaient
vraies. On a. Chacun. Un double animal. L'aujourd'hui est devenu
sauvage. Féroce. Seul celui qui est accompagné de son double animal
s'en sortira. Un cerf. Drôle de bête. La mue, chaque année. Les
bois qui tombent. Se refont. Un os. Ça repousse. Ma force était là,
en lui. Je le laissais me guider. Que les cerfs deviennent la rage de
ce nouveau monde, qui l'eût cru. Moi. J'y ai cru. Je les
fréquentais, autrefois, dans ma forêt. La nuit je restais à
l'affût. Je faisais des photos. Ils ont fini par accepter ma
présence. Se montrer. Ils n'étaient pas doux, non, mais ils étaient
sages.
Mon double
trouve à se nourrir. Il me laisse les restes. Il sait que je suis
sur ses pas. Je dois éviter tout contact avec les autres. Mais les
autres le craignent. Mon cerf, mon moi plus fort que moi.
Nouvelle de Yassi Nasseri
Peinture d'Arthur Voronov
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