(Vous pouvez écouter cette nouvelle lue par Jean-Michel Neri en cliquant ici)
La première rafale de vent digne de ce nom donna le ton des heures qui allaient suivre. Devant le pagliaghju qu’il habite, les herbes aux longues hampes ondulaient par séquences depuis déjà deux jours, et maintenant les ramures ligneuses leur emboîtaient le pas. Tout d’abord ce furent les tiges souples des frênes, des aulnes et des saules qui prirent des angles inédits. Des bouquets entiers de perches inclinées, sans répit, lui donnaient l’impression de garder la tête penchée.
La première rafale de vent digne de ce nom donna le ton des heures qui allaient suivre. Devant le pagliaghju qu’il habite, les herbes aux longues hampes ondulaient par séquences depuis déjà deux jours, et maintenant les ramures ligneuses leur emboîtaient le pas. Tout d’abord ce furent les tiges souples des frênes, des aulnes et des saules qui prirent des angles inédits. Des bouquets entiers de perches inclinées, sans répit, lui donnaient l’impression de garder la tête penchée.
Puis,
le souffle a encore forci et le gros chêne-vert a commencé à
agiter ses poutres.
Les
branches épaisses comme des troncs semblent maintenant toutes
courbées dans le même sens. Les feuilles s’arrachent par brassées
entières et tournoient autour de lui, l’obligeant à plisser les
yeux, avant d’être violemment chassées au loin. Qui sait jusqu’où
la furie du vent va pouvoir les élever et les porter avant qu’elles
touchent enfin le sol ? À quelle distance prodigieuse de
l’arbre qui en a été dépouillé ? Il en imagine certaines
finir leur course en haute-montagne ou bien en mer. Il se dit qu’il
en parviendra peut-être au-delà, atteignant un rivage où aucune
feuille semblable n’existe, et qu’un jour quelqu’un là-bas se
demandera comment celle-ci s’est retrouvée là, et de quel arbre
obscur elle a bien pu tomber. Ou bien elle montera tellement haut
qu’elle n’en redescendra plus, qu’elle rejoindra des trombes
éternelles larges comme des vortex, des colonnes si amples qu’elles
gardent en elles tout ce qu’elles ont aspiré pour créer dans les
limbes une nébuleuse de particules volées à la terre. Cette idée
le saisit : qu’il puisse exister quelque part, hors de la vue
et des consciences, un continent de plumes. Fait de choses si légères
qu’elles échappent à la gravité et à notre entendement. Puis,
il visualise le double maléfique du maelstrom gazeux, un immense
îlot flottant composé de détritus qui dérive sur les océans. Ce
sont sans doute les quelques sachets plastique sortis de nulle part
qui tourbillonnent au-dessus de lui, qui lui inspire cette navrante
gémellité. Il regarde ces méduses obscènes, dénaturées,
s’échouer sur un poirier sauvage et y abandonner une partie de
leur traîne colorée, avant de s’élancer à nouveau pour aller
souiller une autre virginité. Le vent nettoie, le vent emporte, mais
le vent ramène et dépose. Il est comme la crue. Génial et
terrible. Il attise le feu, fracasse et arrache tout, comme sa
caresse peut apaiser et rendre léger.
Au
milieu de l’aghja vide, il se tient debout et écarte les bras,
paumes offertes. Il s’appuie au vent, de tout son long, et face à
lui il le défie. Il se laisse tomber en avant, mais le souffle le
rattrape et le repose sur ses pieds. Il se penche à nouveau,
s’arrondit comme une voile, englobe le flux de ses bras et se
laisse soulever. Il retouche le sol délicatement, trois pas de géant
plus loin en arrière. Il ondule et louvoie pour revenir au centre,
se faufile, et réabsorbe l’onde pour s’envoler à nouveau.
Le
vent pourrait le rendre fou, mais aujourd’hui il a décidé d’en
jouir, et de danser.
Nouvelle de Jean-Michel Neri
Art : feuille sculptée par Omid et Elham Asadi
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Toujours aussi beau !
RépondreSupprimerquelle superbe envolée
RépondreSupprimerMagnifique
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