mardi 31 décembre 2019

Les sables du désert, de Yassi Nasseri


Je m'étais assis sur cette même dune hier. Mais ce n'était pas la même dune bien-sûr. Puisque les dunes sont vivantes, puisqu'elles se déplacent, puisqu'elles laissent le vent les envelopper et les transporter le jour, la nuit. Je regarde devant moi et vois à perte de vue l'éclat du soleil brûlant, le doré du sable, le scintillement de ces résidus millénaires, autrefois coquillages de la mer, aujourd'hui faisant corps avec ce rien qui couvre tout. Un grain de poussière, non mille et mille milliards de milliards de grains de sable. C'est léger. Ça s'envole. Oui, peut-être mais celui qui se laisse engloutir ne survit pas au poids des siècles et des millénaires de cette dorure poudreuse.
Assis sur ma dune, je regardais la chaleur. Je regardais la douceur. Et j'écoutais. Le silence raconte une histoire qui nous vient de loin, portée dans les bras du vent, amplifiée au creux de la tornade. Les chameaux le savent. Eux seuls savent reconnaître infailliblement un lieu précis, au cœur de cette immensité. Parce qu’un jour un de leurs congénères est tombé là, et ne s'est plus relevé. Le froid de la nuit, l'effroyable densité des températures excessives le jour, ont cristallisé l'histoire de ce chameau tombé là. Alors les autres chameaux qui passent par cet endroit reconnaissent la tombe invisible. Le silence leur dit, ici, ici tu peux poser le genou au sol et ne plus te relever. Pour y voir clair dans le désert il suffit d'écouter, et alors on entend tout.
Pendant que l'homme s'enfonçait dans ses pensées une femme arriva. Elle s'arrêta pour le regarder, de loin.
Il se tenait là, accroupi. Était-il en train de prier ? Faisait-il le deuil de tout ce qu'il allait laisser derrière lui ? De loin on ne discernait qu'un petit point blanc au milieu de cette immensité. Les dunes étaient en train de se mouvoir lentement, pour changer de forme, se déplacer, avec le vent qui s'annonçait. Le grand départ. Demain.
Alors la femme s'approcha de lui. Lentement. Elle attendait depuis ce matin, qu'il lève la tête, donne un signe quelconque. Mais non. Il lui laissait le choix. Elle s'accroupit tout près de lui. Suffisamment pour qu'il entende son souffle. Et il comprit. Elle lui disait, demain, je viendrai avec toi. Nous irons le chercher ensemble. Après tout, c'était notre fils.

Nouvelle de Yassi Nasseri

Photographie de Sebastiao Salgado

samedi 28 décembre 2019

Un après-midi de feu et de sang, de Mady Vicensini


Cet endroit revenait en elle seulement quand il se trouvait au plus vif de la chaleur, dans cet écrasement du cœur de l’été. Elle l’avait pourtant connu lorsque la pluie dans sa verticalité glaciale l’inondait ou quand la rage du vent d’hiver le faisait plier.  
Mais, seule, la chaleur intense le ressuscitait dans les recoins de sa mémoire.
Il n’était pas visible de la route, non, il fallait descendre un chemin poussiéreux où un vieil âne ahuri par le soleil la dévisageait de son œil suppliant. Le chemin était interminable… mais, soudain, il s’offrait à elle, ce bout de terre, son bout de terre, une parcelle de son âme qu’on avait pourtant voulu broyer. Elle le ressentait avant même de le voir, de poser les pieds sur son tapis d’aiguilles de pin séchées, mordorées, qui recouvrait de façon uniforme le sol sauf à l’endroit précis où quelques vaches, la nuit, elle entendait leur souffle, avaient l'habitude de passer pour rejoindre le point d’eau le plus proche. Les pins immenses étaient des sentinelles éreintées par la chaleur, littéralement éventrés par elle et les craquements sourds qu’ils émettaient alors surgissaient du plus profond de la terre.
Ce bruit, elle le savait serait en elle pour toujours ; indicible, terrible, une plainte, un cri. Les chênes et les bruyères figés par l’incandescence du mois d’août dissimulaient un puits naturel qui autrefois alimentait une vigne ; le goût sucré des grappes de raisin écrasées entre ses doigts l’envahit. Une énorme couleuvre noire en avait fait son abri. Cette gardienne longiligne et féroce se dressait devant quiconque osait enjamber son antre pour rejoindre la petite clairière qui clôturait le terrain. Était-ce un présage ? Elle savait bien qu’il se passerait quelque chose ici ; elle disait « quelque chose » car elle ne savait pas désigner autrement le sentiment qui s’emparait d’elle quand elle percevait la respiration de la terre qui lui disait qu’un jour elle devrait fuir cet endroit et que le ciel, ce jour-là, deviendrait rouge sang. Dans la journée, les enfants construisaient des cabanes éphémères, essaimaient des seaux et des pelles et leurs dessins qui volaient au gré du vent venaient se poser tels des papillons sur les herbes roussies. Un très vieux van qui comptait un nombre inestimable de kilomètres avait achevé ses pérégrinations devant deux énormes rochers qui marquaient les limites du terrain. Il les abritait la nuit, mais aussi certaines journées quand des nuages bleutés qui traversaient paresseusement le ciel étaient éventrés par de chaudes averses. Cependant, une sourde angoisse la tenaillait car elle savait bien que la couleuvre noire n’était pas la gardienne des lieux ; c’était lui le maître, le souverain de ce royaume de verdure et de beauté ; imprévisible dans ses humeurs et dans ses gestes quand la caresse se transformait en un poing serré. Il avait établi sa loi et ses décisions étaient irrévocables. Parfois, quand il jouait de la guitare ou préparait le feu dans le brasero en pierre qu’il avait construit de ses propres mains, elle baissait la garde, essayait de croire au bonheur et tentait de faire taire cette voix qui, inlassablement, lui annonçait la tragédie à venir. Mais, quand, la guitare s’arrêtait, le regard changeait, les enfants se figeaient elle savait alors que le pire se produirait. 

vendredi 27 décembre 2019

Immensité bleue, de Florence Vizet


Cela fait longtemps qu’ils attendaient ces vacances en famille. Jean et Isabelle aiment partir vers les mers chaudes pour oublier l’effervescence et la grisaille citadine. Ils plongent depuis des années déjà, et leur fils Pierre a l’habitude de les suivre dans leurs voyages depuis son plus jeune âge. Son baptême de plongée, il l’a fait il y a quelques années déjà, à cinq ans dans la réserve Cousteau.

Il est encore tôt ce matin, les nimbes les enveloppent encore de bleu nuit et les torpeurs du sommeil ne les ont pas quittés. Ils vont jusqu’au ponton de bois et embarquent. Ils sont peu aujourd’hui sur le bateau. Ils se saluent en silence et s’asseyent sur le banc qui fait le tour du rafiot.
Le dohni quitte la jetée et avance. Leurs yeux s’abreuvent de cet infini qui leur manquait, de cette palette toujours changeante de bleus qui s’entremêlent, juste séparés de cette fine ligne dessinée à l’encre de Chine, deux moitiés d’un tout qui ne font qu’un.
Le soleil commence à poindre et ses rayons caressent et réchauffent leurs visages. L’équipage propose du café. Ils commencent à parler entre eux, à faire connaissance. Les langues se mêlent, les mains s’animent pour se comprendre, tous réunis par cette même passion. Ils se racontent leurs plongées.
Soudain, le capitaine crie : Whale shark ! Whale shark ! D’un même élan, sans même se parler, ils enfilent leurs palmes, remontent leurs masques et tuba déjà autour du cou et sans même avoir le temps d’enfiler leur bouteille, ils sautent à l’eau dans une précipitation organisée, un par un.
Ils palment vivement, mettent leurs têtes dans l’eau pour le repérer et palment encore plus vite pour le rattraper.
L’imposant poisson gris, à la gueule immense, aplatie et carrée, avance dans l’eau sans bruit. Sa nageoire ondule et propulse lentement son corps lourd, majestueux.
Ils palment autour de lui et ressentent de petites décharges électriques. Des essaims de petits Krills fluorescents l’accompagnent. Certains nageurs essaient de toucher sa peau épaisse. D’un coup de queue, il assomme presque celui trop insistant qui essayait de s’accrocher en dessous qui perd une palme. Le jeune garçon est arrivé à tenir en douceur sa nageoire dorsale et s’allonge sur son dos tacheté de blanc. Il se fait tirer, corps contre corps avec le géant des mers.
Le requin remonte à la surface, le gamin toujours allongé et s’éloigne plus vite. Ils sont tous remontés à bord, incapables de les suivre.
Pierre est maintenant loin à califourchon sur cet animal, et leur fait signe, heureux, comme dans un conte. Soudain, le requin baleine replonge en douceur, l’enfant glisse dans l’eau et le laisse aller.
Le bateau se rapproche pour le récupérer. Le soleil chauffe et brûle maintenant et les sèche rapidement. Ils enlèvent le haut de leur combinaison. Ils rient, plaisantent, racontent, tout en grignotant. Ils sont tous fatigués d’avoir tant palmé, mais leurs yeux brillent de cet émerveillement d’enfant.

Nouvelle de Florence Vizet
Photographie de Andrey Nekrasov 


jeudi 26 décembre 2019

Irish blues, de Jean-Michel Neri


Si sintìa a campana di u quartiere in fronte sin’à u core prutestante di a cità. Un mughju tamantu li rispose, lampatu da i nostri, chì mandava u Papa à scopre l’amore à l’usu grecu. Era quessa a nostra ceremonia di a dumenica : briunà parullacce in ribombu à u so campanile sin’à l’ultima misura. Chì n’avìamu à futte, noi, di a dumenica santa, di a messa in latinu è di tutti i so vezzi. Per mè ghjera più tantu per ghjucà li à a risa chè una questione di fede personale. Di religione n’avìu pocu, di diu micca, è di maestru ancu di menu. L’aspettu u piu patèticu di a mo vita ghjera chì mi facìanu cacà tutti quanti ch’elli eranu, l’Irlandesi quantu à l’Inglesi, i naziunalisti quantu à l’unionisti, o piuttostu diciarìa chì mi piacìa à cantà senza distinzione The Pogues o The Clash. A mo piazza in stu mondu ùn l’avìu scelta. Eru natu d’un babbu scuzzese esiliatu è d’una mamma gypsy stanca di girandulà, è eru cresciutu in un postu chì cambiava di nome secondu quale ne parlava. Elli u chjamavanu Derry. Inde noi è sin’à Londra si dicìa Londonderry per ramintà quale ellu era u patrone. A spaccatura di sta cità s’assumigliava à a u burdellu in u mio ciarbellu.

À mezu à stu bisbigliu ci era un locu unicu in limita di u Bogside, una spezia di bastimentu à cavallu à nantu à a fruntiera invisibule di l’Apartheid, goffu cum’è una fabrica abbandunata, induve ci fraiàvamu cù l’altra manza di catò quand’èramu zitelli. Avà, ciò chì si passa quì indrentu hè diventatu per mè a cosa a più bella di a mo esistenza. Un arcubalenu in stu bughju. N’avìu intesu parlà ma a vulìu vede da per mè. A prima volta chì mi sò decisu à andà ci, a paura d’ùn sapè ciò chì m’aspittava m’hà trattenutu fora un bellu mumentu. Appughjatu à un muru, fumendu una sigaretta dopu à l’altra, mi ne sò avvistu chì i clienti eranu ghjovani, di tutte e religione è di tutte e parte di a cità, ancu sì à l’esternu ùn si mischiavanu micca. Ogni volta chì s’apria a porta, scappavanu rise è tutte e musiche chì mi piacìanu. Mi sò lampatu. A sala ùn s’assumigliava à nunda di ciò ch’avìu vistu. Screni è quadri spendicati sin’à un suffittu altu quantu à un celu, sculture da per tuttu cum’è s’elle fùssinu clienti, scena tondula à mezu à l’edifiziu chì ùn aspettava più chè e bande per sunà, è a pancula a più longa ch’avìu vistu d’a mo vita. Daretu à ‘ssu catafalcu dui fratelli ch’eu cunniscìu, nemichi zitellini di nanzi. Eranu elli ch’avìanu apertu stu pub - club - sala di cuncerti - scena libera - galeria d’arte… chì ne sò eu, stu locu scemu chì ci facìa crede d’esse in Barcelona o in Berlinu. Un plub, eccu, è mancu caru, chì ùn ti costava nunda à piglià ti ci una sborgna nera. È poi c’eranu e zitelle. Li piacìa anch’à elle a Guinness, ma incù a musica è l’arte in più allora… un nidu c’era.

L'arbre-mère, de Yassi Nasseri


Il se rend compte subitement qu'il est perdu. Face à cet arbre devant lequel il s'était arrêté ce matin déjà. Stupéfait par sa stature. L'arbre était immobile bien-sûr mais il était habité, et il avait une façon de se tenir propre à lui. Il eut le sentiment de le voir respirer, se mouvoir. Sa chevelure tombante était sombre, son feuillage de ce vert tendre du printemps et son tronc était imposant. Cet arbre était une forêt à lui seul. On eût dit qu'il tremblotait maintenant alors que ce matin il chantonnait. Ses branchages souriaient tout à l'heure et les voilà maintenant qui grinçaient des dents.

Depuis plusieurs jours déjà il avait quitté le campement. Intuitivement il s'était dirigé vers la forêt mais il avait bifurqué un peu trop tôt à droite et il s'était retrouvé devant le lac. Cette terre gorgée d'eau qui longeait l'étendue bleu sombre avait failli lui tirer des larmes insensées. Mais il savait qu'il lui fallait avancer pour atteindre la forêt. Il avait marché. Les graminées, les joncs, les roseaux se transformaient en monstres dans son esprit. Tant d'obstacles à franchir, tant d'humidité, de franges de marais à traverser, à enjamber. Le terrain glissant s'était insinué en lui au point de le faire divaguer.
Il avait fui et n'avait nullement l'intention de revenir en arrière. Il se dit, pour trouver du courage, qu'il préférait mille fois ces joncs au joug du vilain vieux Pat. Pat l'avait recueilli enfant, peut-être, mais le garçon estimait qu'il avait payé son dû, qu'il avait enduré plus qu'il n'était permis d'endurer. Non il ne retournerait pas là-bas. Et alors qu'un instant avant tout n'était que fougères aquatiques s’agrippant à ses chaussures trempées soudain il vit une fleur. Elle sortait la tête de l'eau, de cette vase insalubre était née la beauté même... un nénuphar sûrement. On lui en avait parlé mais il n'en avait jamais croisé sur son chemin. Le troisième jour alors qu'il allait bientôt être à court de provisions il était enfin entré dans la forêt. Mais depuis la veille il tournait en rond. La forêt commençait à avoir raison de lui maintenant. Il regarda de nouveau l'arbre. Il fit un pas et leva la tête.

Arbre, que me veux-tu ? Pourquoi me faire revenir à tes pieds, encore et encore ? Je t'ai vu hier déjà, trois fois, quatre fois, mais je n'ai pas voulu te faire face. J'ai continué mon chemin en me disant que des arbres comme toi on en trouvait à chaque recoin de cette forêt.

Le jeune garçon décide de s'asseoir. Ses cheveux se mettent à danser, de ce même souffle qui animait l'arbre ce matin. Il se dit qu'il a déjà senti ce souffle dans sa vie, entendu cette chanson, dans un songe ou il y a très très longtemps. Il voit une image. Des yeux amande qui le regardent, qui s'amusent en lui sifflotant un air doux, aimable, aimant.

Et l'arbre le lui dit alors. Oui, tu as eu une mère, elle ne t'a pas abandonné. Elle t'a confié à moi. Ton chemin a commencé ici. Aujourd'hui tu cherches une nouvelle vie... Je te montrerai le chemin.

Complainte de la blanche biche, de Sarah Le Berre Albertini


L'odeur d'humus frais envahit son nez et sa bouche. Elle est étendue depuis des heures sur son lit de mousse. Peu à peu, elle distingue les feuilles des arbres qui se balancent doucement au gré du vent, et trouve ça beau. Ces grands arbres au-dessus d’elle sont majestueux. Ils se découpent sur le ciel étoilé, ils font ce lien entre l’ici et l’ailleurs. Ces arbres, c’est son temple à elle.
La vie reprend, le sang vient taper dans ses veines, elle déglutit.
Toutes les sensations de conscience sont si vite perturbées. Ça n’arrête pas, c’est si bruyant : les oiseaux, les insectes volants et puis les rampants, la nature ne permet pas le répit, sinon tu es phagocytée.
Au bout de quelques minutes, Marguerite a trouvé la force de se relever. Elle va chercher au sol, ramasse du trèfle et de l’ail sauvage et les porte directement à sa bouche. Elle s’inspecte le corps, elle n’a pas de blessures, quelques griffures qui cicatriseront vite.
Marguerite n’aime pas la couture et ne s’intéresse pas aux médisances. Alors elle reste discrète et préfère rester en dehors des conversations, ce qui fait d'elle la cible privilégiée des ragots. Elle aime cuisiner, biner aux champs et nourrir les lapins. Elle n’aime pas plumer et vider le gibier que ramène Renaud, avec suffisance. Lorsqu’elle tient un faisan mort sur ses jambes, elle ne peut s’empêcher d’éprouver de la tristesse, puis au fur et à mesure de l’ouvrage, le faisan se transforme en bout de viande appétissante et elle se dit qu’elle-même ne sera un jour qu’un bout de viande morte.
Elle avait bien failli cette nuit-là, être la proie des chasseurs. Elle les avait flairés pourtant, bien avant qu’ils n’arrivent, mais la forêt devient vite un piège lorsque les rabatteurs sont efficaces. Elle a trouvé refuge au plus profond de la forêt et a attendu sa transformation.
Maintenant il faut qu’elle retrouve son chemin, il faut qu’elle arrive à la ferme avant l'aurore. Elle ne court pas aussi vite le jour que la nuit. La nuit elle est légère, puissante, à l’affût. Le jour elle est avec ces chasseurs, la nuit elle les fuit. Elle écoute juste ce qu'il faut pour s'organiser, pour leur échapper au mieux.
De retour à la ferme, une nouvelle journée de labeur l’attend.
« Où qu'elle était encore la goton ? » lance la cuisinière.
Cela déclencha un fou rire général, on s'est aperçu de son absence.
Marguerite baisse la tête et se précipite sur son ouvrage en attendant que l'on veuille bien l'oublier. Traquée la nuit, traquée le jour, Marguerite ne trouve de réconfort qu'auprès de la sage-femme du village. C'est elle qui l'a mise au monde, lorsqu'elle a déchiré le ventre de sa mère. Elle était alors dans sa forme primitive et innocente, puis au petit jour est devenue un nourrisson.
- Qu'avez-vous à soupirer ma blanche Marguerite ?
- Ma mère, vous le savez, j'ai bien trop d'ire en moi.
- Ma fille, vous être tout à la fois le prédateur et la proie, vous devez accepter votre nature.
Cette nouvelle lune, Marguerite s'abreuvait au cours d'eau quand elle entendit les cornets de cuivre. Une attente interminable et terrifiante mais Marguerite ne voulait plus fuir et patienta jusqu'à entendre des flèches fendre l'air.
Elle fut frappée, de plusieurs de ces flèches et s'écroula au sol. La douleur fut lente, elle sentit ces tiges de bois dans son cœur et son sang qui coulait sur le sol. Son regard était porté vers les feuillages des arbres, qui dansaient comme à l'accoutumé. Les voix des hommes devinrent peu à peu un lointain écho. Et dans un dernier souffle, Marguerite trouva enfin la paix.
Le dépouilleur s'approcha, il coupa le ventre encore chaud de la biche, et à tirer son couteau, ses membres en quartiers. Soudain il se releva avec effroi :
- C'est qu'elle a le cheveu blond … et le sein d'une fille ?!
Il crut devenir fou alors il préféra terminer son dessein avec hâte.
Le jour même à table, Marguerite fut la première assise, sa tête dans le plat. Son sang, répandu par toute la cuisine et sur les noirs charbons, sa chair, ses os embaumèrent l'air d'un fumet particulièrement appétissant.

Nouvelle de Sarah Le Berre Albtertini

Peinture de Carine Manjoo


Lift, de Jean-Michel Neri


(Vous pouvez écouter cette nouvelle lue par Jean-Michel Neri en cliquant ici)

La première rafale de vent digne de ce nom donna le ton des heures qui allaient suivre. Devant le pagliaghju qu’il habite, les herbes aux longues hampes ondulaient par séquences depuis déjà deux jours, et maintenant les ramures ligneuses leur emboîtaient le pas. Tout d’abord ce furent les tiges souples des frênes, des aulnes et des saules qui prirent des angles inédits. Des bouquets entiers de perches inclinées, sans répit, lui donnaient l’impression de garder la tête penchée.
Puis, le souffle a encore forci et le gros chêne-vert a commencé à agiter ses poutres.
Les branches épaisses comme des troncs semblent maintenant toutes courbées dans le même sens. Les feuilles s’arrachent par brassées entières et tournoient autour de lui, l’obligeant à plisser les yeux, avant d’être violemment chassées au loin. Qui sait jusqu’où la furie du vent va pouvoir les élever et les porter avant qu’elles touchent enfin le sol ? À quelle distance prodigieuse de l’arbre qui en a été dépouillé ? Il en imagine certaines finir leur course en haute-montagne ou bien en mer. Il se dit qu’il en parviendra peut-être au-delà, atteignant un rivage où aucune feuille semblable n’existe, et qu’un jour quelqu’un là-bas se demandera comment celle-ci s’est retrouvée là, et de quel arbre obscur elle a bien pu tomber. Ou bien elle montera tellement haut qu’elle n’en redescendra plus, qu’elle rejoindra des trombes éternelles larges comme des vortex, des colonnes si amples qu’elles gardent en elles tout ce qu’elles ont aspiré pour créer dans les limbes une nébuleuse de particules volées à la terre. Cette idée le saisit : qu’il puisse exister quelque part, hors de la vue et des consciences, un continent de plumes. Fait de choses si légères qu’elles échappent à la gravité et à notre entendement. Puis, il visualise le double maléfique du maelstrom gazeux, un immense îlot flottant composé de détritus qui dérive sur les océans. Ce sont sans doute les quelques sachets plastique sortis de nulle part qui tourbillonnent au-dessus de lui, qui lui inspire cette navrante gémellité. Il regarde ces méduses obscènes, dénaturées, s’échouer sur un poirier sauvage et y abandonner une partie de leur traîne colorée, avant de s’élancer à nouveau pour aller souiller une autre virginité. Le vent nettoie, le vent emporte, mais le vent ramène et dépose. Il est comme la crue. Génial et terrible. Il attise le feu, fracasse et arrache tout, comme sa caresse peut apaiser et rendre léger.
Au milieu de l’aghja vide, il se tient debout et écarte les bras, paumes offertes. Il s’appuie au vent, de tout son long, et face à lui il le défie. Il se laisse tomber en avant, mais le souffle le rattrape et le repose sur ses pieds. Il se penche à nouveau, s’arrondit comme une voile, englobe le flux de ses bras et se laisse soulever. Il retouche le sol délicatement, trois pas de géant plus loin en arrière. Il ondule et louvoie pour revenir au centre, se faufile, et réabsorbe l’onde pour s’envoler à nouveau.
Le vent pourrait le rendre fou, mais aujourd’hui il a décidé d’en jouir, et de danser.

Nouvelle de Jean-Michel Neri
Art : feuille sculptée par Omid et Elham Asadi

Vous pourrez écouter cette nouvelle lue par l'auteur en cliquant ici.

vendredi 20 décembre 2019

Mes bois, de Yassi Nasseri

Je l'avais trouvé. Et il ne fallait surtout pas que les autres le sachent. Les autres que je ne voyais pas. Le soir parfois je les entendais. Je me faufilais comme à l'époque où les forêts étaient encore, où je me plaçais en fonction du vent, pour ne pas être repéré. Je me fais invisible, caméléon dans ces ruines noircies. Tous ces verres brisés. Je faisais partie de ces rares qui les avaient vus les gratte-ciels. Si élevés, qui reflétaient les nuages et la lumière du jour, de leur surface miroitant, façades lisses, monstres élancés. Tout s'est retrouvé éparpillé au sol. Ça a secoué terriblement, le sol s'est déchiré, s'est dérobé sous nos pas. C'était la chute. Du monde. De notre monde d'avant. Ces villes arrogantes avaient été englouties par les entrailles de la terre. En un claquement de doigt. Par vagues, successives. Une ville après l'autre. Le cœur de la Terre les avait répertoriés, une liste de coordonnées GPS, mais sous la notation de notre sous-sol. Vivant. Hors de lui. Qui nous a soufflés. On aurait tout pu imaginer, sauf cela. Nous lui en avions trop fait voir. Patiente, elle a attendu, puis un soir elle a éternué. Nous a ri au nez. Plus rien maintenant. Il n'y a plus rien. Je n'ai pas besoin de le savoir, plus d'actualités, plus d'images, un pressentiment. Celui qui me tient en vie, encore.
Reviens à ton instant. Ne te disperse pas. Cet instant peut te perdre si tu n'es pas vigilant. Nous n'avons plus que cela. Nos instants. Un seul est déjà l'équivalent d'une vie, longue. Enfin. Peut-être pas. Tout a changé pour moi. Maintenant j'ai une issue. J'ai un avenir, j'ai de nouveau un présent. Mon double. Animal. Je l'ai trouvé. Ce n'était donc pas des légendes. Ces vieilles histoires ancestrales étaient vraies. On a. Chacun. Un double animal. L'aujourd'hui est devenu sauvage. Féroce. Seul celui qui est accompagné de son double animal s'en sortira. Un cerf. Drôle de bête. La mue, chaque année. Les bois qui tombent. Se refont. Un os. Ça repousse. Ma force était là, en lui. Je le laissais me guider. Que les cerfs deviennent la rage de ce nouveau monde, qui l'eût cru. Moi. J'y ai cru. Je les fréquentais, autrefois, dans ma forêt. La nuit je restais à l'affût. Je faisais des photos. Ils ont fini par accepter ma présence. Se montrer. Ils n'étaient pas doux, non, mais ils étaient sages.
Mon double trouve à se nourrir. Il me laisse les restes. Il sait que je suis sur ses pas. Je dois éviter tout contact avec les autres. Mais les autres le craignent. Mon cerf, mon moi plus fort que moi.

Nouvelle de Yassi Nasseri

Peinture d'Arthur Voronov

mercredi 18 décembre 2019

Gráinne Ni Mháille mo grhá, di Suffia Marruchi


Ella era arritta, à prua. U so corpu sanu drittu facia fronte à a torre furtificata chì s’avvicinava. Ùn si muvia malgratu a baldanza chì ritimava a navigazione.
L’avia sempre vista cusì, ancu a notte di a nascita di Teobald, u so quartu figliolu. U ciucciu ùn venia è s’era imbarcata quantunque. U cummerciu ùn aspittava, secondu à ella. A notte era stata timpestosa, s’eranu puru battuti contr’à cursari tunisiani in ghjurnata. Un’imbarcazione d’omi assatanati è mutivati da un longu viaghju pur di falli cuncurrenza. È ella, dopu à tuttu què, avia parturitu in cabina. Sbrugliata ch’ella s’era, sola. Era esciuta à notte fonda, nant’à u ponte crosciu è disertu à prisentà a creatura à u mondu marinu.
Ùn si sentia chè u rispiru di i marosuli nant’à e tavule di legnu di u fasciame èTeobaldu di i battelli chì pienghjia, arrembatu nant’à u pettu di a so mamma dritta è fiera. Volta versu babordu, a so chjoma fucosa cum’è u so caratteru, chì ballava in u ventu.
Eiu mi ne rammenteraghju sempre cusì.
Ma sta sera, entruti in u castellu, mentre chì ognunu festighjava à tavulinu u ritornu di u figliolu è di u so fratellu, ella era esciuta. Lascendu i mughji, i tarocchi, e canzone è l’odore d’ublonu ch’impestava a sala principale. Attraversendu un pizzatellu di landa, s’era messa à pusà davanti à una cruciuccia di legnu frescamente piazzata. U so primunatu durmia quì sottu. Sottu à sta piccula catasta di terra umida ci stava un pezzu di u so core. È malgradu a fierezza d’avè affruntatu a regina Lisabetta, malgradu u so scambiu tenace in latinu è l’impressione forte ch’ella li avia datu. Malgradu u so ritornu vitturiosu cù i prigiuneri di a so famiglia è di u so clanu. Malgradu ch’ella avia barattatu per recuperà e terre è i beni di i soi, sentia ch’ella avia persu ben troppu. Per a prima volta, arrimbata à a cruciuccia, si chjinò è si messi à pienghje.

Ùn l’avia cunnisciuta da ciuccia. Ciò chì ne sapia di a zitellina di Grace era di duminiu pubblicu o amparatu in e canzone populare. Era cresciuta cù un’educazione da dama. I so parenti speravanu di fanne una donna rispettata è ammirata da a sucetà. Ma a zitella era per u più passiunata da e storie di u so babbu. Difatti, Eoghan Dubhdara O’Malley era u capu di clanu d’una famiglia di marinari è piscadori. Vultava sempre cù avventure maravigliose da cuntà. Ben prestu Grace cherse à accumpagnà u so babbu in e so spedizione ma ellu ùn vulia. Li spiegò chì i capelli longhi d’una donna pudianu impigliassi in i curdami di e vele di u battellu. In risposta à què, a zitella, decisa, tagliò a so lunga chjoma russiccia è si prisentò à l’imbarcazione, a mane dopu. U babbu ùn a pigliò quantunque ma a leggenda di Granuaile
a calva era nata.
Eiu era un giuvanottu imbarcatu cù Eoghan quandu Gráinne riescì à imbarcà à l’ascosu. Duvia avè 12 anni, era alta, fine ma spallilarga è anchilarga, una dunnetta da marità. M’affascinò subbitu.
Escì da u so piattatoghju solu quandu u battellone era in altu mare. À a grande surpresa di tutti, u so babbu ùn fù in collera, fù ancu u cuntrariu. Ghjunta ch’ella era davanti à ellu, li scappò una scaccanata furiosa è l’abbracciò. A verità hè chì st’omone intrepidu era fieru di a tistardaghjine di a zitella. U so figliolu maiò ùn era bramosu di piglià u mare è si destinava à a musica. Eoghan prufittò dunque di stu viaghju cummerciale versu à a Spagna per insignà à a giuvanotta i rudimenti di a marina. È ùn fù dilusu.

L’anni passonu è Grace O’Malley lasciò tutta a piazza à Granuaile. Era stata maritata à u capu d’un altru clanu chì pussedia assai terre è una flotta impurtante. Era ella à mantene a pusizione di i dui clani. Stu calambrone viulentu ùn a meritava ma què, hè un’altru discorsu. Postu chì u so sposu preferia a terra ferma è a guerra trà clani, ella cuntinuò u cummerciu ma dinù e malfatte di u so babbu. Ci vulia à dilla, più chè cummercianti, eramu pirati. E flotte inglese eranu a mira principale di i nostri attacchi. L’usu di e nave irlandese era pruibitu è per u cummerciu eramu obbligati à falà versu a Francia, a Spagna o u Portugallu. Mentre chì l’imbarcazione inglese, elle, pudianu circulà è praticà i scambii ind’è noi. Era venutu u tempu d’ùn lasciassi più fà. Cun forza è fracassu ripiglietimu u putere. Nimu pudia passà Clue bay senza fassi spuglià di u so caricamentu è d’ogni bè prisente à bordu. Nè equipaggi nè capitani ci resistianu. Eramu temuti. Eramu in cunfienza cun a nostra dirigente. Hè per questa, dinù ch’à a morte di u so maritu, fumu più di 200 à decide di suvitalla per u sempre.
Cun ella eramu putenti, cun ella u territoriu crescia, in terra cum’è in mare. Certe volte faciamu risonà i cannoni contr’à i nostri nemichi. D’altre volte attaccavamu discretamente cù barcelle à vela mentre chì i marinari durmianu. Granuaile facia parte di l’attacchi è ùn c’era mai stata donna più bella l’ochji verdi spalancati è a faccia schizzata di sangue.Ùn piantavanu mai e cunquiste è ella ci azzingava à l’azzione. Era dinù pronta à u sacrifiziu è hè cusì ch’ella spusò in seconde nozze quell’altru nemicu di a famiglia, da piglialli u so castellu. Ne divurziò un annu dopu ma u castellu di Rockfleet fù nostru per u sempre. È diventò u nostru simbolu.

mardi 17 décembre 2019

Cent pas, de Jean-Michel Neri


Les hautes herbes me fouettent les hanches. Chacun de mes pas prolonge le sillon que j’ouvre dans cette étendue vierge. J’allonge ma foulée. Cent pas, malgré mes poumons en feu, malgré l’acide qui commence à irriguer mes cuisses, cent pas d’avance, c’est tout ce que je peux faire, c’est ce que je dois maintenir à tout prix. Si je me retourne, je sais que je vais perdre mes moyens. Je vais le voir à ma poursuite, le cornet à poudre en main, en train de recharger. Cent pas, c’est tout ce que j’ai.
J’ai l’impression qu’on court depuis des heures. Il ne me lâche pas. Lui aussi s’économise, c’est une course au long terme, on le sait tous les deux. Le premier qui faiblit a perdu. À cent pas, il pourrait me toucher. Mais pour ça, il faudrait qu’il s’arrête, qu’il mette en joue, qu’il calme sa respiration et les battements de son cœur. Qu’il vise. Il n’aurait qu’une seule chance, il le sait très bien. S’il manque, il ne pourra plus me rattraper. Mon frère, lui, serait capable de tirer en courant et faire mouche, mais personne n’est aussi fort que Deux-Aigles. Ni aussi brave. J’aurais dû l’écouter au lieu d’insister pour venir épier le campement des colons. Et maintenant Deux-Aigles est mort parce qu’il a tenu à m’accompagner, et moi j’essaie d’échapper à l’homme qui lui a fait exploser le crâne. J’ai tout abandonné derrière moi, le cadavre de mon frère, le fusil qui venait de mon père, et mes certitudes sur l’invincibilité de notre sang. Et je cours comme un perdu en direction d’une lisière qui semble impossible à atteindre. J’aurai peut-être une chance si j’arrive jusqu’aux arbres, s’il ne m’a pas logé avant une balle entre les épaules.

Un seul trait fend la plaine, une saignée unique dans l’herbe folle où deux points minuscules filent l’un après l’autre à cent pas de distance. Plus avant, une pente boisée marque la rupture de plan, la limite sur laquelle le sillon changera forcément de nature, de trajectoire, se divisera peut-être. Soudain, le poursuivant s’arrête. Il expire deux fois, et épaule calmement. L’écart entre eux grandit rapidement.

Qui est-il ? Je n’en sais rien, ils se ressemblent tous. Il doit avoir mon âge, avec des nerfs plus solides que les miens. Mon frère non plus ne l’a pas senti venir. On pensait être discrets, tapis dans la mousse, à observer leurs allées et venues autour du feu. On comptait les fusils. Quand le coup a claqué, la tête de mon frère a tressauté juste à côté de moi et j’ai reçu son sang en plein visage. Sa tête est retombée et il est resté le nez planté dans la mousse. Je n’ai même pas vu ses yeux. Je savais qu’il était déjà mort. La terreur m’a saisi, je n’ai pensé qu’à m’enfuir. J’aurais pu prendre le fusil que la main inerte de Deux-Aigles agrippait toujours, j’aurais pu le viser avant qu’il recharge, j’aurais pu le tuer pour venger mon frère et revenir en brave, j’aurais pu… Au lieu de ça je cours, et je dois courir encore.
Les arbres se rapprochent, maintenant ils grossissent à vue d’œil. Plus que quelques pas et je pourrai me cacher, souffler un peu, tenter de brouiller ma piste.
Une détonation. Mon épaule est happée vers l’avant en me faisant tournoyer sur moi-même. Je m’affale au pied des premiers troncs, une douleur terrible me signifiant pourtant que je suis encore en vie. J’ai l’impression qu’on m’a arraché le bras gauche, mais il est toujours là, pendant et baigné de sang. Je réfléchis à toute vitesse. Si je reste baissé, il peut penser que je suis mort, ne pas recharger de suite et s’approcher confiant… Je n’y crois pas moi-même. Je rampe pour gagner le couvert. La trainée de sang que je laisse derrière moi est plus facile à suivre qu’une piste de buffle.
Je suis étonné de ne plus avoir peur, j’ai retrouvé la lucidité qui m’a tant fait défaut tout à l’heure. Un peu tard pour m’être vraiment utile, si ce n’est pour avoir du regret. Adossé à un pin, je me repose enfin. Mes forces m’ont quitté. C’est comme ça que je veux me tenir pour rejoindre mon frère et mes ancêtres, contre un arbre, en regardant la mort venir à moi au lieu d’attendre qu’elle me frappe dans le dos. Je vois le sang s’écouler de mon bras, devenir un ruisseau qui dévale la pente. Son flot l’emportera, lui et tous les siens, il les noiera et les disloquera dans un torrent furieux. Ils iront nourrir le sol qu’ils ont profané.

Il s’avance vers moi. Se tient à trois pas. Le scalp dégoulinant de mon frère pend à sa ceinture comme un trophée de chasse. Il m’observe un instant, l’air absent. Indifférent. J’aurais préféré sa haine. Quand sa lame entame le cuir vif de mon front je sais que je n’aurai même pas droit au coup de grâce.

Territoire des Lakotas des Grandes Plaines, 8 mai 1769


Nouvelle de Jean-Michel Neri

Peinture de James Ayers

lundi 16 décembre 2019

Dopu à a missa, di Francescu Cucchi


Quiddu ghjornu era andatu à travaddà senza vodda. Purtanti li piacia u so travaddu è po’ li pirmittia di guadagnà a so vita abbastanza bè. U so patronu era un omu dirittu è di gran valori è William u stimaia è era filici d'avè lu scontru qualchì anni fà.
Quand'iddu era ghjuntu à i Stati Uniti, I primi tempi funi duri. Ùn sminticaria mai u viaghju pà attravirsà u mari annantu à stu batellu rughjinosu carcu à ghjovani com'è iddu chì viniani à circà a furtuna in America. A puzza comu ùn l'avia mai intesa, i topa chì li curriani adossu quand'iddi durmiani, a robba ch'iddi manghjaiani. Sbarchendu dopu à u cuntrollu in Ellis Island, avia trovu subitu un travaddu annantu à un cantieri di custruzioni. Ci cunniscia pochi cosi ma t'avia a vodda è po’ era un omu intelligenti.
Un ghjornu avia scontru st'omu chì vindia robba annantu à i marcati, chissà ciò chì s'era passatu trà iddi ma u lindumani William si ritruvò à travaddà incù stu Ghjudeu.
Ma oghji avia passatu tutta a mattinata impinsiritu, s'era liticatu incù a so moglia pà un affari senza impurtanza. Ùn era nudda ma ùn li piacia micca di firmà mali cun idda è aspittaia di vultà in casa pà appaccià i cosi. Era una duminica di branu urdinaria, s'avviccinaia meziornu. Passò davanti à una ghjesia dundi i fideli isciani da a missa. Iddu ùn era cusì cunvintu ch'idda ci fussi una Putenza Suprana chì dicidissi di u distinu d'ugnunu. Si dumandaia comu si pudia creda tutti sti raconti senza avè nisunu dubbitu. In a so tarra d'Irlanda l'avia dighjà custata quidda manera di pinsà chì a so famidda, com’è guasgi tuttu u mondu in stu principiu di vintesimu seculu, era bedda cattolica. Più chè a so famidda era tutta a cità di Limerick chì t'avia una pratica rilighjosa forti. U puntu stremu fù raghjuntu quandi a cummunità cattolica dicisi un boycott di i Ghjudei, da quì erani nati viulenzi. William era statu cummossu da sti fatti, ùn pudia dì nudda chì u so babbu l'avaria pudutu tumbà. Allora dicisi d'andà si ni, è stu novu mondu paria a scelta ideali. Ùn aspittarani chè à tè in America li dissi u so babbu quandu li feci parti di a so vodda di mova. Riccu ùn lu duvintaria mai ma pocu l'imprimia, avia una moglia ch'iddu tinia è aspittaiani un ziteddu. Guadagnaia abbastanza pà dalli cundizioni di vita più chè à dignità è supratuttu erani filici. Gudiani d'una vita simplici è onesta. Quant'idda paria luntana Limerick.
Andaghjia pà sta via senza veda stu mondu chì li piacia tantu. Stu mondu da fà. I donni chì caminaiani cù i so vistiti longhi, i ziteddi chì ghjucaiani incù tuttu ciò ch'iddi truvaiani, senza pinseri. À st'ora i balconi spalancati lacaiani scappà tanti prufumi, i ripasti erani quasi pronti, i mammi chjamaiani i ziteddi chì invintaiani di tuttu pà firmà fora dinò qualchì minuti. Ma oghji ùn ci facia casu. Cuntinivendu a so strada incù u so mazzulu di fiori prissò u passu. À u scornu d'un picculu carrughju ghjirò u capu à manca è u vidisti. À una vintina di metri, l'omu staghjia pà fassi minà da trè parsoni, era un neru. Incruciò u so sguardu. William ùn si pudia difiniscia com'è un omu curaghjosu, quantu volti avia abbassattu u sguardu o si n'era andatu pà ùn avè stodii. Ma avia vistu i so ochji.
Chì avarà fattu st'omu? Minaiani dighjà, t'aviani bastoni.
Oh arristeti pà piaceri. I trè omini si vultoni.
Oh ma vai à spassu, ùn sò micca i to affari.
Ma William ùn si ni pudia più andà, avia vistu i so ochji. Li pisaria tutta a so vita. Ùn s'era mai battutu, ùn era micca gattivu.
Pà piaceri l'eti dà tumbà lu, ùn vuleti micca ch'idda finischi cusì ?
Ma qual'se tù ? Và ti ni subitu o t'emu da dà à tè dinò.
William trimaia, avanzò pà metta si trà u neru ch'era in Terra è i trè omini.
Ciò ch'iddu vulia ùn la sapia manch'iddu. Iddu vulia bè a ghjenti, era pà quissa chì li piacia u so travaddu annantu à i marcati. Pudia parlà, scambià, n'avia imparatu tantu. Era filici quandu, vultendu in casa, racuntaia à a so moglia i so discussioni incù ghjenti d'orighjini diversi, Taliani, Chinesi è tant'altri. Ogni ghjornu stu paesu li pirmittia d'arricchissi. Dapoi qualchì anni ghjunghjiani neri da u meziornu, fughjiani a miseria, circaiani a salvezza ind'è sti stati dundi t'aviani diritti, ufficialmenti. William discurria à spissu cun iddi, t'aviani una forza, qualcosa di spiciali, di sicuru par via di ciò ch’iddi t'aviani cunnisciutu prima. Ùn pudia micca capì i raghjoni chì purtaiani un omu à creda si superiori à un altru, supratuttu quiddi chì cridiani in Diu.
Un di i trè dilinquenti s'avvicinò è li minò una bastunata. William alzò u bracciu, u colpu fù com’è una saetta, attempu l'altru li mandò un colpu in i costi, annantu à u fegatu. U feci piigà, cascò. Pruvò di tena si cù u so bracciu culpitu ma ùn ci riiscisti, era sciappatu. U capu in tarra, u fiatu taddatu, pinsò à a so moglia. I trè vituparati cumpiistini u travaddu à calci. Intesi schiattà u so nasu. William ùn vidia dighjà più nudda. Capì ch'ùn lintariani micca. Pruvaia sempri à parlà.
Stesi in u so sangu, annantu à i teghji, un neru è un biancu s'erani fatti amazzà in u paesu di a libartà.

Nuvella di Francescu Cucchi

Pittura di Alexander Jansson

dimanche 15 décembre 2019

D'une chanson désarmée, d'Edwige Biancarelli

Une Guiness. Encore une. Pour avaler la mort, celle de deux gosses cette fois.
Dolores O’ Riordan ne voyait plus personne, plus rien dans ce Pub enfumé de Londres où pourtant tous, et elle en tête, brassaient la fête quasi tous les soirs depuis une semaine en musique grunge ou rock.
Mais les habitués eux aussi sous le choc, l’observaient, et le tableau de cette fille, regard vide, épaules basses et mains ouvertes en même temps que mortes, en rajoutait à la terrible nouvelle que la télé hurlait derrière le comptoir.
Au centre commercial de Warrington, à deux pas, pour le premier jour du printemps, des bombes avaient encore frappé, celles de l’Armée Irlandaise Républicaine provisoire cette fois, tuant notamment deux innocents de 12 et 3 ans, Jonathan Ball et Tim Parry.
Son vertige emportait la jeune chanteuse hébétée et ni l’alcool ni sa foi chrétienne ne pouvaient l’apaiser dans ce moment. Sa tête ne lui martelait qu’Attentat pour Attentat, et plus rien n’avait de sens ni de fin.
Chez elle à Limerick pendant les repas de famille, on débattait passionnément et souvent de peine de mort pour tout poseur de bombes… Seule Erin, l’amie de toujours, ébranlait parfois Dolores dans ses convictions, avec ses idées de féministe, au sujet de l’avortement notamment, elle qui avait dû s’exiler en France parce qu’elle se trouvait trop jeune pour être mère. Cette histoire avait bien failli causer la fin de leur amitié d’ailleurs parce que pour la catholique Dolores, la vie était sacrée, « au dessus de tout !», criait-elle. Heureusement Erin savait toujours trouver les mots pour la faire redescendre et les pires colères pouvaient basculer de plaisanteries en fous rires avec autant de fougue
« Oh keep cool oh ! avec ce nom là, « Dolores » : Tu te chales toutes les douleurs du pays à toi toute seule! »

Mais aujourd’hui, aucune discussion n’avait lieu d’être, deux enfants nés pour vivre, étaient tombés et ne débattraient plus de rien, jamais.
Sa dernière bière engloutie elle sortit soudain de son asphyxie. Et elle la vomirait comme la montée sans fin de la violence.
Se levant brusquement elle tituba, bousculant table, chaise et serveur sur son passage. Elle était partie sans manteau ni sac, mains en avant, nausée en poitrine.

Reconstruire. Dénoncer les tueurs, aussi bien vendeurs d’armes que menteurs politiques… tous des zombies. Eux par qui tous les civils, vivants ou s’arrêtant de vivre, sous les flingues et les bombes devenaient… des zombies.
Transpirante de larmes et trempée par la pluie, ses yeux fous ruisselaient d’idées folles mais ses pas décidés la portaient.

Écrire. Même pétrie de doutes et sans toutes les clés, un chant pour ces enfants, contre l’assassinat, qui briguerait la vie, furieusement. Elle ne prendrait pas d’armes parce qu’il fallait un chant, renaître de ces cendres.
La pluie qui redoublait dehors accélérait encore sa détermination. Flics et barrages évités, elle courait maintenant dans le même sens que la rivière, le long de River Road, ignorant flaques de boue et tâches de sang pour remonter jusqu’à Fountain’s Hotel dont la façade idiote narguait toujours les passants avec ses joyeux angelots.
Bien qu’elle grimpât quatre à quatre les marches pour atteindre sa chambre, c’est là qu’elle retrouva son souffle et sut, que sa chanson, était prête : « Zombies », elle en avait le titre, enragée et coûte que coûte désarmée.

Nouvelle de Edwige Biancarelli


Peinture murale, Belfast

samedi 14 décembre 2019

Sweet Molly, de Florence Vizet


(Vous pourrez lire cette nouvelle en langue corse, traduite par Marc Biancarelli, en cliquant ici.)

Elle est brune à la peau claire et sa poitrine généreuse révèle sa douceur.

Elle avance dans les artères de Dublin, poussant sa charrette dont on suit l’effluve de rue en rue. Elle harangue le passant, comme ses parents le lui ont appris.
“Mes coques, mes moules, bien fraîches !”
Son tablier est couvert de sang, ses doigts imprégnés de l’odeur. Ces poissons qu’elle doit ouvrir, vider, écailler lui répugnent. Ses mains sont gercées par l’eau froide, abîmées à force de travailler. Elle est une fille de la rue, pas une de ces nouvelles bourgeoises qu'elle croise, vêtues de laine, de soie et de dentelle.

Son corps, elle le vend chaque soir, comme son poisson, au premier passant.

La première fois, elle était toute jeune. Il l’avait prise dans un coin de rue, en quelques minutes, plaquée contre un mur. La soudaineté l’avait empêché de crier, de bouger. Juste cette douleur vive, forcée, déchirée par son membre chaud, mou et dur à la fois. Il est parti aussi vite qu’il l’a pénétrée. Elle a repris son chemin, comme si de rien n'était, comme si elle avait imaginé, inventé.

Des gamines des rues à l’innocence volée, on en trouve dans les rues de la capitale. Cette ville, digne et froide, est envahie par la sauvagerie. Elle a été la scène de tant d’affrontements sanglants, et l’opulence y côtoie la plus grande désolation.

Elle ne peut s’empêcher d’aimer ce bébé, né rond et souriant. Ressemble-t-il à son père ? Ses petits seins engorgés lui font mal. Il la tête et la soulage et ils ne font qu’un.

Mais ils sont deux maintenant, alors chaque soir, les soldats anglais lui rendent visite. Elle assouvit les besoins de ces protestants loin de chez eux. Ils la prennent sur leurs genoux, lui disent des mots doux, lui promettent de se fiancer. Pour leur plaire, elle se frotte à la pierre ponce pour estomper l'odeur du poisson.

Ils lui racontent comment ils s’emparent de leurs terres. Ils veulent exploiter, cultiver cette nature encore vierge, ces collines, ces marécages, ces forêts. “Ah vous, les Irlandais, vous êtes si paresseux”. Mais ils aiment leur terre encore belle et sauvage, ces vastes étendues dont la lumière varie, ces rivières agitées, ces roches découpées.

Ses compatriotes désespérés, sales et alcoolisés la traitent comme une putain, comme un exutoire de leur vie malmenée. Elle a appris. « Elle sait faire, elle est douée, la petite Molly ». Elle se sent si sale, peut-être est-ce ces relents de bière, de sueur, et de tabac. Alors, après chaque nuit, elle se sert de la pierre ponce encore une fois.

La neige a recouvert les toits de la ville, comme apaisée. Il fait froid, un froid glacial et humide. Elle est seule, allongée sur son matelas de paille, le couffin est vide et aucun galant n’est à ses côtés. Son corps encore jeune et lisse est parcouru de frissons. Elle a soif et son esprit commence à divaguer. Peut-être le monde est-il plus beau et plus doux là-haut, comme l’a dit le curé.

Sweet Molly est enfin délivrée.

Nouvelle de Florence Vizet

Peinture, La belle irlandaise de Gustave Courbet


jeudi 12 décembre 2019

Les Chutes, de Yassi Nasseri


Un matin il s'est levé, s'est habillé. Comme tous les autres jours. Et il est parti.

Personne ne l'a jamais revu. On l'a attendu pourtant, des semaines et des mois. Il nous avait tout apporté, tout appris de cette manière de vivre. Construire des cabanes. Avoir des murs solides, des toits qu'aucun vent, aucune tempête ne pouvait emporter. Nous on n'aurait jamais pensé faire des constructions aussi lourdes, aussi ancrées. On aimait mieux nos pirogues. Filer dans l'eau, vite, se faufiler entre les roches plantées dans l'eau. Aller vite, éviter de prendre le mauvais virage. Parce que les chutes ne pardonnent pas. Et tomber de haut c'est nécessairement la fin.

Pour lui ç’avait été un début. On l'a trouvé un jour frigorifié, trempé jusqu'aux os, pris dans des nausées tant il n'avait rien trouvé à se mettre sous la dent, accroché sur sa tour, son rocher salvateur. On se méfiait des blancs mais celui-là nous a plu. Son regard était une musique, une musique de chez nous. On l'a recueilli, on l'a traîné avec nous des mois et des saisons, partout où on allait. Il se blessait, on le soignait. Tout ça c'était au début. Avant qu'il nous apprenne sa langue, avant qu'il nous explique ses mots. Sédentaire. Voilà le mot qu'il nous a appris. Il a pris son temps. Puisqu'il avait appris à vivre comme nous on a voulu l'écouter. Grotesque, farfelu, son monde devait être fou. Oui. Sa folie nous a gagné. On s'est installé, dans cette forêt. On a coupé les arbres. On a balayé le sol. Cette terre si peu profonde, a lâché sa végétation sans montrer de résistance. Oui, la terre balayée aplatie... Il nous a montré les formes de son esprit, le carré par exemple. Un très grand carré qui allait devenir notre village.

Il est parti ce matin-là. Il a abandonné notre village. Il avait dû sentir que ses frères arrivaient. Heureusement on a quitté le village, nous aussi. Quand on a vu qu'il n'allait pas revenir, on a repris nos pirogues, on a retrouvé notre rivière, notre fleuve, nos chutes. Et à chaque fois que le fleuve s'agite et s'énerve, nous siffle la symphonie de la chute proche je repense à lui, la première fois qu'on a dialogué comme il disait.
Iguazú
C'est ton nom, tu t'appelles Iguazú ? 

Nouvelle de Yassi Nasseri
Pour lire la nouvelle en corse, traduite par Marc Biancarelli et publiée sur Tonu è Timpesta cliquez ici.

mardi 26 novembre 2019

I spisci, di Yassi Nasseri


Una mani, s’hè arrizzatu, s’hè vistutu. Com’è tutti l’altri ghjorna. Po’ hè partitu. 
Nimu l’hà mai più vistu. Puri l’emu aspittatu, i sittimani, i mesa. Ci avia purtatu tuttu, imparatu tuttu di quissa manera di viva. Custriscia i capanni. Avè i mura sòlidi, i tetta chì nisciun’ ventu, nisciuna timpesta ùn pudaria sfà. No’, mai avariamu pinsatu à fà i custruzzioni cussì grevi, cussì incippati. Ci piaciani di più i nosci piroghi. Sfilà in acqua, prestu, infrugnassi trà i scoddi ficcati in acqua. Viaghjà lestri, pruvà di schisà a gattiva ghjirata. Parchì i spisci mancu pardònani. È cascà da in altu hè d’evidenza a fini. 
Par iddu era statu un principiu. L’emu trovu un ghjornu ch’era cutratu, trosciu bàttulu, chjappu da a naùsea tantu ch’ùn avia trovu nienti da rustuccià, azzingatu à a so turri, u so cantonu salvatoriu. Ci malfidaiamu di i bianchi, ma quistu quì c’era piaciutu. U so sguardu paria una musica, una musica da ind’è no’. L’emu accoltu, l’emu strascinatu cù noscu mesi è mesi, staghjoni è staghjoni, da partuttu indu andaghjìamu. Si firia, no’ u curàiamu. Tuttu st’affari era à l’iniziu. Prima ch’iddu ci imparessi a so lingua, ch’iddu ci spiighessi i so parolli. Sidintariu. Eccu a parolla ch’iddu ci hà imparatu. Hà presu u so tempu. Postu ch’iddu avia imparatu à viva com’è no’ l’emu vulsutu stà à senta. Gruttescu, pazzu, u so mondu duvia essa tontu. Iè. A so tuntia s’hè impussissita di no’. Ci semu stallati, in quissa furesta. Emu taddatu l’àrburi. Emu spazzatu a tarra. Quissa tarra cussì poca prufunda hà cappiatu a so vegetazioni, senza muscià alcuna risitenza. Iè, a tarra spazzata è spianata… Ci hà musciatu i formi di u so spìritu, u quatru par esempiu. U quatru beddu maiori chì avia da duvintà u nosciu paesu. 
Hè partitu quidda mani. Hà abbandunatu u nosciu paesu. Avia forsa capitu chì i so paghjesi affaccàiani. Ancu assà no’ dinò l’emu lacatu, u paesu. Quandu emu vistu ch’ùn avia più da vultà, emu ripresu i nosci piroghi, emu ritrovu a noscia vadina, u nosciu fiumu, i nosci spisci. È ugni volta chì u fiumu buddi è ch’iddu s’arrabbia, ch’iddu ci friscia a sinfunia di a spiscia à vicinu, ripensu ad iddu, à a prima volta ch’emu cuntrastatu, com’ì la dicia. 
Iguazù. 
Hè u to nomu, ti chjami Iguazù ?


Nuvella di Yassi Nasseri
Traduttu da Marcu Biancarelli