je
suis là, minuscule et nous sommes des milliers.
Mon
existence parmi mes semblables parait si ténue.
Pourtant,
nous embrassons les îles, contournons les atolls, définissons les
courants marins. Les lagons nous doivent leur tranquillité.
Nous
formons de gigantesques serpents le long des côtes océanes.
On
nous voit du ciel.
Cette
voûte céleste que j’entrevois parfois quand
la
mer se creuse.
D’ailleurs
ce soir, elle me comble. A l’aplomb de sa cambrure, j’aperçois
les étoiles, très loin là-haut.
Innombrables,
comme nous.
Elles
pulsent sur un rythme qui m’est familier.
Un
lien invisible nous rapproche, celui de la vie.
La
Lune toujours présente à travers le filtre de l’eau me parait
énorme, difforme comme prête à éclore.
Elle
touche l’horizon, sa base s’irrite au contact des flots qui
s’aiguisent, s’épand en nappe de soufre sur l’horizon hérissé
de mercure.
Mon
univers bleu s’enfonce, vire au violet. L’obscurité gagne.
Les
abysses noircissent.
Au-dessus
de nous la houle s’amplifie. Nous sommes propulsés d’un côté
et de l’autre. La tête me tourne, mes bras ouverts s’étalent
dans le courant de plus en plus violent.
Une
première vague immense se dresse comme un pic vertigineux, un abîme
aérien s’ouvre sur la nuit étoilée nous laissant un instant
pétrifiés.
Puis
c’est la déferlante. Forte, puissante, capable de nous arracher
jusqu’au cœur.
Elle
est verte et bouillonne d’écume fluorescente.
Ces
géantes se succèdent pendant une éternité. La colonie résiste.
Elle a subi bien d’autres furies durant des siècles.
Au
loin, de curieuses lueurs apparaissent par intermittence, rouges,
parfois vertes.
Bâbord,
tribord, un navire ?
Ces
énormes cargos qui nous frôlent parfois sans se soucier de leurs
remous, leurs fracassants échos, leurs résidus noirs, étouffant
notre bonheur sur leurs passages.
Ces
lampions se marient aux immenses zébrures de l’orage qui sévit
sur le monde.
Sur
l’îlot tout proche.
Des
sons lugubres nous parviennent malgré le fracas des vagues.
Leurs
sirènes ?
Soudain
une ombre épaisse se précipite vers nous, venue de là-haut, de la
limite de l’entre deux mondes.
Une
énormité, une incongruité.
Elle
gronde, hurle, s’arrache les entrailles en s’écrasant contre
nous.
Son
ventre s’ouvre et vomit du fer, du feu, du sang, broyant intimement
la vie et la mort.
J’ai
mal, nous souffrons. Pulvérisés, une immense plainte silencieuse
nous parcourt.
Je
suis ouvert en deux, trois, quatre, je ne sais pas.
Nous
sommes laminés. Encore palpitant espérant la survie.
Notre
rocher, notre abri, notre maison n’est plus. Réduit par le poids
du navire échoué, à un magma de pierre, de bois, de métal et de
matière organique.
Des
hurlements accompagnent la rage de l’océan.
Je
flotte Dieu sait où, parmi les débris.
Hagards,
des yeux d’humain me contemplent, bleus comme un ciel radieux.
La
vie y surnage encore un peu, puis cette étincelle, ultime témoin de
son propre mystère disparaît.
Je
suis un, je meurs par milliers, je souffre comme un univers entier.
Nouvelle
de Marie Burel
Sculpture
de Patrick Mortier
Texte intéressant
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