La nuit touche à sa fin.
Il marche le long du quai, longeant la Sprée.
Il a réussi à s’enfuir
sans trop de difficulté. La nuit a été longue, il regarde l’aube
apparaître à l’horizon et avec elle l’espoir que cette guerre
cesse enfin.
Il s’en tire bien cette
fois-ci, ça aurait pu être pire. Avec toutes les rumeurs qui
circulent à l’Est… et ces corps qu’on repêchent du canal…
La folie des hommes est sans limite.
Tout ce sang versé…
Un rayon de soleil
l’aveugle, il ferme les yeux et l’espace d’un instant se
retrouve dans la cuisine de la maison familiale. Sa mère debout
devant l’évier, fredonnant une chanson de Rory Gallagher. « A
million miles away » c’est ça, elle adore cette chanson. Son
chien Dante roulé en boule sous la table, bienheureux dans les bras
de Morphée. A quoi pouvait-il bien rêver ?
Un flot d’air glacial
le ramène à la réalité de sa mission. L’opération de la veille
a été un succès, il a parfaitement joué son rôle, même s’il
lui faudra plusieurs jours pour se remettre de la raclée qu’il a
reçue.
Il bifurque sur la gauche
et se retrouve face au mur. Il continue son chemin, laissant courir
ses doigts sur le béton froid, tatoué de graffitis et imprégné
par la souffrance.
C’est étrange quand
même, tout a été si facile.
Un premier impact dans
son dos lui explose la clavicule.
La surprise et la douleur
lui coupent le souffle. Tout avait été si simple… Puis une
deuxième détonation. Le choc le projette au sol, il n’a plus la
force de se relever.
Il cherche l’air et
s’étrangle, du sang plein la bouche. Une ombre noire et rouge
danse devant ses yeux telle un diable vengeur venu réclamer son dû.
Pour lui pas de promesse de paradis, il a bien trop de sang sur les
mains. Le diable se rapproche, chuchote à son oreille ces quelques
mots en russe « l’objet de la guerre c’est la paix mon
ami ».
Rory, sa guitare et le
souvenir de sa mère l’accompagnent et l’enveloppent dans ces
derniers instants, tandis que son sang irrigue le pavé. « A
million miles away », comme il aimerait être à un million de
kilomètres d’ici, bien au chaud, loin de cette guerre glaciale.
Loin de ce pays qui n’est pas le sien, de cette cause qui n’est
plus la sienne.Le diable a une voix
qu’il connaît bien… « si simple » pense-t-il avec
regret. Rien dans cette affaire n’avait été le fruit du hasard,
il n’aurait dû faire confiance à personne. Le moment est venu, il
y aura laissé la vie.
Une sensation de froid
l’envahit peu à peu il s’enfonce dans un sommeil éternel tandis
que son cœur cesse de battre … Son chien l’attendra peut-être
aux portes de l’enfer.
Demain un nouveau
chapitre de l’Histoire va s’ouvrir et ça il ne le saura jamais.
Son nom était Anton
Golovine, il est mort trahi par ses frères d’armes au lever du
jour, à Berlin un 8 novembre 1989.
Nouvelle de Lory Massey
Street Art : East side gallery, Berlin
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