mercredi 19 février 2020

La chute, de Lory Massey

La nuit touche à sa fin. Il marche le long du quai, longeant la Sprée.
Il a réussi à s’enfuir sans trop de difficulté. La nuit a été longue, il regarde l’aube apparaître à l’horizon et avec elle l’espoir que cette guerre cesse enfin.
Il s’en tire bien cette fois-ci, ça aurait pu être pire. Avec toutes les rumeurs qui circulent à l’Est… et ces corps qu’on repêchent du canal… La folie des hommes est sans limite.
Tout ce sang versé…
Un rayon de soleil l’aveugle, il ferme les yeux et l’espace d’un instant se retrouve dans la cuisine de la maison familiale. Sa mère debout devant l’évier, fredonnant une chanson de Rory Gallagher. « A million miles away » c’est ça, elle adore cette chanson. Son chien Dante roulé en boule sous la table, bienheureux dans les bras de Morphée. A quoi pouvait-il bien rêver ?
Un flot d’air glacial le ramène à la réalité de sa mission. L’opération de la veille a été un succès, il a parfaitement joué son rôle, même s’il lui faudra plusieurs jours pour se remettre de la raclée qu’il a reçue.
Il accélère le pas, plus que quelques mètres à parcourir.
Il bifurque sur la gauche et se retrouve face au mur. Il continue son chemin, laissant courir ses doigts sur le béton froid, tatoué de graffitis et imprégné par la souffrance.
C’est étrange quand même, tout a été si facile.
Un premier impact dans son dos lui explose la clavicule.
La surprise et la douleur lui coupent le souffle. Tout avait été si simple… Puis une deuxième détonation. Le choc le projette au sol, il n’a plus la force de se relever.
Il cherche l’air et s’étrangle, du sang plein la bouche. Une ombre noire et rouge danse devant ses yeux telle un diable vengeur venu réclamer son dû. Pour lui pas de promesse de paradis, il a bien trop de sang sur les mains. Le diable se rapproche, chuchote à son oreille ces quelques mots en russe « l’objet de la guerre c’est la paix mon ami ».
Rory, sa guitare et le souvenir de sa mère l’accompagnent et l’enveloppent dans ces derniers instants, tandis que son sang irrigue le pavé. « A million miles away », comme il aimerait être à un million de kilomètres d’ici, bien au chaud, loin de cette guerre glaciale. Loin de ce pays qui n’est pas le sien, de cette cause qui n’est plus la sienne.Le diable a une voix qu’il connaît bien… « si simple » pense-t-il avec regret. Rien dans cette affaire n’avait été le fruit du hasard, il n’aurait dû faire confiance à personne. Le moment est venu, il y aura laissé la vie.
Une sensation de froid l’envahit peu à peu il s’enfonce dans un sommeil éternel tandis que son cœur cesse de battre … Son chien l’attendra peut-être aux portes de l’enfer.
Demain un nouveau chapitre de l’Histoire va s’ouvrir et ça il ne le saura jamais.
Son nom était Anton Golovine, il est mort trahi par ses frères d’armes au lever du jour, à Berlin un 8 novembre 1989.

Nouvelle de Lory Massey

Street Art : East side gallery, Berlin

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