L’artiste t’a peint
dans le frais, alla prima, d’un trait.
Je me souviens, nous
marchions tous les deux vers son atelier quand il t’attrapa au vol,
et tout de suite, fébrile, se mit à t’habiller du costume
d’Arlequin. Lorsque tu lui parus fin prêt, il te regarda au fond
des yeux et te prenant la main, il te proposa plus calmement, de
t’asseoir sur un vague fauteuil déniché au fond de son chantier.
A la fois content et surpris tu t’inclinais. Il était difficile
de te garder longtemps immobile, tu ne t’assis donc pas
complètement. Tu bisquais même, un peu, et ta candeur et ton
langage charabia nous firent bien rire encore une fois.
Puis la danse a commencé.
Toi, te sachant sujet
d’étude, avalé par sa fureur joyeuse et, me disais-je alors, par
son feu de trouver à travers toi, des réponses aux questions qu’il
se posait… je te sentais impressionné une fois de plus, mais ton
regard fragile, étrangement le transperçait. Jusqu’à la fin,
c’était incroyable, vos yeux noirs ne se sont pas quittés. Je le
voyais lui qui s’acharnait, ému et fier, à te faire crever la
toile au fur et à mesure que les couleurs violentes et bigarrées du
tissu s’affirmaient, il laissait le fond neutre. Décidant d’être
bien assise, je m’étais installée derrière vous sur un petit
tabouret, et te regardais, si fragile et touchant.
Le silence était beau,
juste le souffle de nos respirations et le bruit des pinceaux, tantôt
secs, tantôt doux.
A un moment, j’osai
pourtant prendre la parole, lui faisant remarquer qu’un habit de
Pierrot m’aurait semblé plus juste pour toi, ce à quoi, au bout
d’un temps assez long, il me répondit malicieux, qu’il le
prévoyait pour une prochaine séance. Ses yeux brillaient toujours
dans ses allers retours, de toi à sa toile, pendant que tu le
fixais, et je cherchais à présent si tu le regardais vraiment ou si
tes yeux étaient dans le vide. Ces traits si fins… une
porcelaine ! J’étais aussi impressionnée que toi par son
talent à figer ta fraîcheur sur le tableau.
Soudain tu te mis à
agiter discrètement les jambes, impatient, bien que tu n’en
montras rien sur ton visage, après cela tu en replias une,
légèrement derrière l’autre et ne bougeas plus du tout jusqu’à
la fin du portrait. C’est là que je me levai, plus attentive
encore, pour me rapprocher de l’œuvre en cours : tu semblais
y flotter. Tes pieds ne l’intéressant pas visiblement, il se
préoccupait davantage des losanges du vêtement, de tes joues roses,
choisissant d’esquisser seulement tes mains timides puis finalement
de presque bâcler le sombre du fauteuil. Enfin nous faisant
sursauter tous deux, il s’écria brusquement, épuisé et
flamboyant
- J’ai trouvé !
Il avait fini. Alors il
ouvrit grand ses bras pour que tu coures à lui, avec tes cris
d’enfant joyeux et enfin libéré, tes rires plein nos oreilles.
Je vous pris passionnément contre moi, exigeant à mon tour ma part
de câlins, et sans plus nous soucier de l’ouvrage achevé, nous
quittâmes ensuite l’atelier pour s’en aller manger car il
faisait bien faim.
Tu es plus grand que moi
aujourd’hui. Comme tu as grandi. De joies gourmandes en
meurtrissures tu t’es construit.
Mon Pierrot,
Sube
a nacer conmigo hermano
Monte avec moi naître
mon frère
Mon rêveur qui invite au
rêve, silencieux et maladroit sans trêve. Dans le même temps,
l’homme que tu deviens pratique parfaitement la dérision et
surtout tu es perçu comme un être éclairé, tel Nasreddine, tu te
souviens, le fou qui était sage ? Ou Arlequin, tiens ?
Peut-être l’artiste savait-il, que tu portais, enfant déjà, en
toi toutes les faces de ce personnage.
Sube a nacer conmigo
hermano
Je connais un Pablo qui
ne peint pas ce qu’il voit mais ce qu’il pense. Pas de costume
pour ce Pablo. Il est nu. Et dans son urgence, il vous déshabille.
Urgence de tout comprendre, volonté de tout basculer.
Révolutionnaire. Révolution, ça veut dire tourner. Et tu tournes
dans ta tête mille questions sur le monde. Et tu peux me voir fière
de ta belle militance.
Sube
a nacer
Je veux ici t’accompagner
et qu’il te souvienne les Chants de Neruda :
Être arbre. Un arbre
ailé. Dénuder ses racines. Dans la terre puissante et les livrer
au sol.
Et quand, autour de nous, tout sera bien plus vaste, ouvrir en grand nos ailes et nous mettre à voler.
Et quand, autour de nous, tout sera bien plus vaste, ouvrir en grand nos ailes et nous mettre à voler.
Enfant, dans l’atelier,
tu n’étais pas bien assis le jour de ce portrait, tu te
rappelles ? Hé ! Regarde-le aujourd’hui ce tableau :
Si le fauteuil n’a presque pas de pieds, les tiens existent, ils
sont ailés. Il te reste à écrire la page blanche du blanc
costume de Pierrot, peindre ta propre toile et puis à t’envoler.
Ta peinture en ce moment c’est Guernica tous les jours. N’oublie
pas la colombe. Mon frère de lutte, toi mon poète, soleil lumineux
mais lunaire. Tu es plus que tu ne le crois stratège sur
l’échiquier de ta vie. Par mon écrit maintenant, je veux te
percuter, un plaquage de rugby, que tu m’écoutes un peu et puis
que tu transformes.
Tu es si haut, mon frère,
telles les hauteurs de Machu Picchu.
Nouvelle d'Edwige Biancarelli
Peinture de Pablo Picasso
Nouvelle d'Edwige Biancarelli
Peinture de Pablo Picasso
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