La
maison est étroite et sombre, le plafond est bas. L’atelier se
trouve à l’étage où les apprentis travaillent dans un silence
monacal, éclairés par une douce lumière émanant de fenêtres à
petits carreaux. L’odeur de térébenthine est enivrante,
écœurante. Les couleurs écrasées sur les toiles contrastent avec
la décoration rudimentaire de l’atelier du peintre Hals. Sur une
étagère, des livres, un bougeoir, un crâne de chèvre. Le peintre
à la carrure imposante se lève brusquement de son chevalet et
traverse l’atelier en faisant grincer le parquet et en tapotant son
appuie-main avec nervosité. Les jeunes apprentis se raidissent sous
le feu de son regard. Le plus jeune d’entre eux prépare les
couleurs, il broie depuis des heures et sa molette colle à la plaque
de marbre. Elle devient de plus en plus résistante pour mélanger la
poudre de pigment à l’huile de lin. C’est le moment de vérifier,
à l’aide de son couteau, il rassemble la matière et l’écrase
avec adresse, il est prêt : le noir. Maître Hals le veut
intense comme la nuit, pour cela il y ajoute du bleu outremer. Avec
une touche de blanc de plomb, sur sa palette, le maître en fait un
gris bleuté dont il se sert pour imiter l’effet que produit la
lumière sur les vêtements.
Ses
confrères de la Sint-Lucasgilde vont venir contrôler les
nouvelles toiles du maître Hals, avant la foire annuelle. Le peintre
est agité, il sait ce que veulent les mécènes : des commandes
de portraits glorifiants et bien léchés, de riches étoffes, des
cols en dentelle, des fonds sombres et austères ou de beaux paysages
en arrière-plan. Mais pour lui, ce ne sont que des compositions
lisses qui n’ont d’autres intérêts que de lui permettre de
payer ses dettes. Dans le fond de l’atelier ce sont d’autres
projets qui l’animent.
Ils
sont là. La petite porte du rez-de-chaussée a été ouverte et le
courant d’air froid s’est engouffré jusqu’à l’étage. Les
maîtres de la guilde montent l’escalier et Hals les rejoint. Après
avoir échangé quelques politesses, il les conduit au fond de la
pièce où sont entreposées les toiles, en cours de séchage. Les
maîtres n’y accordent qu’un bref intérêt avant de se tourner
face au tableau en cours d’exécution. Sur le chevalet, une ébauche
: les mains, les visages, les tissus, rien ne semble terminé. Tout
semble brossé dans l’urgence, mais l’œuvre est saisissante de
vie. Ce tableau est un scandale, une perte de temps et d’argent,
mais il est réussi. C’est un grand format représentant un bouffon
rieur et tout autour de lui des enfants semblant s’agiter comme des
mouches. Les maîtres le savent, le rire est ce qu’il y a de plus
difficile à reproduire. Rares sont ceux à s’être risqué à cet
exercice. En peinture le rire devient une grimace déformante, le
rire semble figé, le rire est rarement convaincant. Pourtant cette
fois, le maître a réussi à le saisir et cela ne semble possible
que par une grande spontanéité de son geste : de larges touches
vermillon ont fait naître en quelques coups de pinceau des bouches
édentées et des pommettes saillantes. C’est une démonstration
magistrale. L’amuseur public au chapeau décoré d’une queue de
renard ne nous lâche pas du regard, nous ne pouvons pas y échapper.
Les enfants veulent tous s’engouffrer dans le cadre et se pressent
autour de lui. Le plus grand d’entre eux est aussi le plus
espiègle, il plonge sa main vers nous, comme une invitation à la
folie. La petite fille au bonnet blanc, rit avec nous et son regard a
pour mission de nous inclure définitivement dans la fête.
Le
maître travailla inlassablement, pour matérialiser le réel.
Regardez
; Nous sommes vivants.
Écoutez
; Les rires des enfants et le rythme du rommelpot.
Nouvelle de Sarah Le Berre Albertini
Peinture "Le Joueur de rommelpot" de Frans Hals
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