samedi 28 mars 2020

Fine da sgiò, di Suffia Marruchi


E fronde di u cipressu ùn duverebbenu ingiallisce nè cascà à e stagione fredde ? Sicuramente un' altra cunsequenza di u dopu. E canne taccate di viulettu l’ingiravanu cum’è sintinelle. Ellu, u mandile à palla incavatu in e narice, scavava. Avia sempre pensatu d'esse u primu à more s'ellu accadia una catastroffa è ch'ellu ci vulia à difendesi. U statu di e so osse, u so corpu debbule l'avianu datu tanti strazii à l'epica di nanzu. Forse era per via di sta resistenza ch'ellu era sempre quì. In vita. Forse era per què è per seppellisce i soi ch'ellu avia tenutu sinu ad avà. Era fattu oramai. A polvara di terra ingiallita cupria e so botte sbundate. U tufone tamantu induve ghjacianu i trè corpi era cupertu. Infine, ci misse una croce. Micca per credenza, chì a fede avia da tempu tralasciatu sti lochi di pena è afflizzione. Ma per ricordu. Per rammintassi chì sottu à sta terra malata è maligna eranu imprigiunate anime nobile. Avvedeci famiglia di u dopu. Famiglia di i strazii. St'ultimu cunflittu ùn avia lasciatu ch’à ellu scampatu. E so ricerche attive l'avianu cundottu luntanu da i soi. Francatu ch'ellu avia a fruntiera di a furesta per allevialli di a fame, ùn avia mancu intesu l'impatti è u ribombu di l'ultime cartucce. Ed era ghjuntu solu à tempu per nettà i lochi. L’irunia di a situazione era chjara : l'ultime interrazzione trà gruppi d'esseri umani eranu state affin’ di morte è di viulenza. Cum'è da principiu.
Razzaccia.

A pala, a lasciò in terra. À cosa li ghjuverebbe postu ch'ùn ci serebbe più nimu per seppelliscelu ? S’ellu firmava qualchissia in i cuntorni, piglierebbe solu a pena di viutalli e stacche. Si vultò in direzzione di u casale.
U capu in i so ricordi, avanzava. Era questu u puntellu chì ritimava e so ghjurnate. Circà à manghjà, ripensà à a so vita di nanzu. Sbulicà e cucine di e case abbandunate per qualchì buatta è vugà nant’à un mare di memoria. Circà acqua fangosa, falla bolle è sugnà. Ùn c’era nunda di degnu in a so vita attuale. Nunda à chì vede cù l’impressione avuta fighjendu Mad Max à l’epica di nanzu. Quì era ancu peghju. Fughje, battesi, piattassi è pate a fame. In u filmu si facianu a guerra per l’essenza, oghje ghjornu si tumbava per cunserve scadute.
Mentre ch’ellu marchjava nant’à a ricciata di a pruprietà, malgratu ch’ellu venia d’interrà i so ultimi amichi, si misse à pinsà à u caffè. Pinsà quantu serebbe dolce di sente l’odore di sta bivenda calda. U caffè. O quantu n’avia guastatu nanzu ! Quandu li cascava in cucina è chì, per mancanza di brama o una vaga quistione d’igiene, preferia ghjettallu. Ripensenduci, à oghje, l’averebbe puru liccatu nant’à e chjappelle!
Sentia quasi u caffè di a so mamma. U listessu odore ch’avia attiratu una scatera di persone in a so cucina. Ella, chì malgradu e penurie avia apertu a so porta à tutti per sparte u pocu ch’ella avia. S’era vista ricusà ogni trattamentu umanu da e stesse persone accolte. Li avianu cacciatu a vita. Sguzzata da sopra à a tola. Per un caffè.

Ume, de Muna Neri


Je suis perdu, au beau milieu de nulle part, sur ce qui semble être une île, mais je n'y vois personne, même pas un vieillard devenu fou qui serait en train de parler à une noix de coco avant de réaliser qu'il est censé la manger pour rester en vie.
Je me dis que je dois faire le tour de cet endroit désert, sans personne pour me faire visiter les lieux.

Ça faisait bien deux bonnes heures que je marchais, et pourtant il n'y avait toujours aucun signe de vie. Jusqu'à ce que je voie une silhouette, assise dos à moi devant un feu minuscule. Elle ne se retournait pas en m'entendait craquer des branches sous mes pieds lorsque je marchais, quand je l’appelais elle lâchait une sorte de soupir moqueur. J'ai été jusqu'à lui lancer des petits gravillons de sable dessus, pour la faire réagir, mais la seule réaction que ça lui procurait était un rire mesquin qui me faisait froid dans le dos.
Je décide donc de m'allonger pour la nuit, à quelques mètres de cette femme recroquevillée sur elle-même, habillée de ce qui semblait être un vieux tissu déchiré et qui recouvrait son corps maigre à en faire peur.
Cette vieille peau me fichait la trouille, et pourtant je voulais passer ma nuit de sommeil à côté d'elle, sur une île dont je ne connais rien et où nous sommes les seuls habitants. J'aimais beaucoup me faire flipper, que mon sang se glace dans les moments les plus critiques où je pouvais risquer ma vie avec une chance infime de m'en sortir.
Alors je ferme les yeux paisiblement, un certain frisson d'excitation me parcourant à l'idée de ce qu'il pourrait m'arriver avant l'aube.

Il est 3h du matin, j'ai toujours les yeux fermés, mais je sens une forte chaleur, ainsi qu'un liquide chaud qui m'entoure. J'ouvre les yeux pour comprendre ce qui m'arrive, et je la vois. Cette femme est allongée sur moi, ou plutôt ce qu'il reste de moi. Elle m'avait sectionné les bras et les jambes et le sang est encore chaud, coulant autour de moi, alors que son arme est plantée dans ma cage thoracique. Elle me sourit avec sa bouche fendue, pendant que je peux voir ses cheveux dissimuler à peine le reste de son visage. Je la reconnais. C'est ma petite sœur Ume, décédée il y a 5 ans, tuée par un mercenaire à l’âge de 26 ans.
Elle me regarde, heureuse. Ume à l'air soulagée que j'aie toujours été à ses côtés, dans ma schizophrénie... Cette maladie que j'ai toujours eu depuis sa mort, qui a créé cette île déserte dans mon esprit, pour retrouver ma sœur morte, cette maladie va me tuer ici même, dans les bras de Ume, tous les deux emportées par les flammes.

Nouvelle de Muna NeriPeinture de Georges Fho Madison


Avec les intérêts, d'Amalia Luciani


« C’est paru dans Il Messagero, monsieur Getty. Le monde entier reprend l’information… ».
Tremblant, le secrétaire venait de déposer un journal sur le bureau en chêne. Le titre, « l’oreille coupée du petit-fils du milliardaire J.Paul Getty envoyée à un quotidien italien », dévorait la page. En arrière-plan, sans ménagement, dans la plus ostensible des vulgarités, une photo de l’organe reposant dans un écrin de papiers froissés.
« Madame Gail essaie de vous joindre depuis une heure monsieur, elle dit qu’il faut commencer les négociations sans plus tarder … ».
« Je vous remercie Simon, vous pouvez disposer », l’interrompit le vieil homme.

Lorsque la porte fut refermée, l’octogénaire se releva difficilement et alla se placer devant la fenêtre de son bureau. La vue dégagée sur le parc de son château de Sutton Place avait toujours eu le mérite de l’apaiser dans les moments difficiles.
Gail.
Cela faisait plusieurs jours que Getty refusait de prendre ses appels et de la recevoir. La dernière fois qu’il avait vu la mère du petit, elle n’avait cessé de pleurer et de renifler, agrippée à son onéreux costume, et quand elle avait cessé ses larmoiements, c’était seulement pour mieux l’invectiver et lui ordonner d’agir.
Des mois que son fils avait été kidnappé en Italie par des membres de la ‘Ndrangheta.
Des mois que le magnat du pétrole refusait de payer le moindre cent. Avec les derniers évènements, les soixante-deux pièces de sa demeure ne sauraient être suffisantes pour fuir la fièvre et l’angoisse de son ancienne belle-fille.
Lorsqu’il avait appris la nouvelle du kidnapping pendant le mois de juillet, le créateur de la Getty Oil Company avait affirmé haut et fort qu’il ne verserait pas un seul dollar de sa fortune.
Toute cette histoire ressemblait à une mauvaise blague, une escroquerie adolescente pour lui soutirer de l’argent. Et Gail, même s’il ne pouvait désormais plus douter de sa terreur, restait pour lui une femme quittée et humiliée par son mari, qui aurait su tirer avantage d’une telle supercherie.
« Si je paie maintenant, mes autres petits-enfants vont tous mystérieusement commencer à se faire enlever ».

L'intrus, de Marie Burel


Quel est ce poids qui tiraille ses seins ? Ces deux petits globes, encore menus.
Pourquoi cette douleur, cette angoisse diffuse. Discrètement, les bras croisés au-dessus du comptoir, ses mains en coupe épousent leurs arrondis.

Ambiance feutrée dun bar de nuit.

Elle parle de ses futurs voyages, un jour prochain.
Non, elle ne sait pas quand.
Où ? l’Amérique Latine et plus loin encore, pourquoi pas le tour du monde.

La terre, cette sphère, cette rondeur, notre mère à tous.

Interloquée, soudain elle reste silencieuse.
Non, ce ne peut être…

Elle ne se comprend plus. Des pensées insidieuses viennent et reviennent sans cesse vers des images de plénitude. Des sensations étranges, inhabituelles.
Un coussin de plumes, une écharpe de laine, Une odeur d’eau de toilette, un baiser dans le cou.
Une éponge gorgée d’eau tiède et savonneuse, le bruissement d’un envol de tourterelles…

Toujours muette, parmi le caquetage alentour, sa main gauche se relâche, descend, caresse son ventre plat en un geste circulaire, machinal, presque réconfortant.
Non, ce ne peut être…

Puis, lancée à conter ses rêves d’aventure, elle reprend le récit de ses ambitieuses pérégrinations.

La mer, et pourquoi ne pas poursuivre en prenant le large, traverser le Pacifique, déployer les voiles d’un bateau blanc en compagnie de… de qui au fait ??

Une sourde inquiétude s’insinue en elle, lui enserrant la gorge.
Elle s’imagine seule sur un rivage ou en mer, admirant une pleine lune laiteuse, énorme envahissant le ciel nocturne.
Encore ces images idiotes, d’un romantisme imbécile.
Non, ce ne peut être…

Deuxième tournée de bière. Une blonde, fraîche et dorée, comme elle.
Elle d’habitude ! Ceci-dit, ce n’est pas le cas ce soir. Ses mèches claires s’échevellent, indisciplinées. Son teint est plutôt blême, les yeux perdus.
L’instant d’après le regard flou, elle n’est plus là.

Que se passe-t-il ?
Impalpable, invisible mais tellement présente, une masse noire stagne au-dessus d’elle. Elle peine à la contenir, à l’ignorer.
Vivement elle poursuit son discours d’évasion le visage fermé.
L’arrivée à San-José au Costa Rica puis un périple en voiture de location droit vers le sud. Elle ne s’égaie même pas à la perspective d’une baignade dans l’océan.
L’étincelle qui l’anime habituellement à l’évocation de ses vagabondages est absente.

vendredi 27 mars 2020

« Préparer sereinement le thé », de Yassi Nasseri


C'est dans cette maison en Normandie que tout s'est passé, ce printemps-là. On avait loué la maison pour quelques semaines. Elle était grande, elle était isolée. Précisément ce dont nous avions besoin pour préparer la pièce, faire les répétitions, souder la troupe naissante. L'enjeu était de taille. Nous deviendrions une troupe de théâtre solide, et demain reconnue, ou avant même de nous produire en scène nous nous scinderions et disparaîtrions à jamais. Mais on était confiants. Tous les membres du groupe étaient des amateurs semi-professionnels, et partageaient la même passion. Le théâtre devait avoir des effets cathartiques, sans cela, il ne devait pas être.
- Qu'est-ce que tu fais Marlène ?
- Préparer le thé sereinement...
- Bon, je ne l'ai pas encore lu, mais promis je m'y plongerai dès notre retour à Paris. En attendant il faut que tu t'actives un peu.
- Chacun doit jouer son rôle.
- Oui, oh, ça va tes références. La Bhagavad Gita à toutes les sauces ça fait grincer les dents.
Elle me jette son regard noir.
- Oui, je sais c'est le Mahabharata, cette grande épopée indienne au cœur de laquelle se trouve ce texte fondateur que tous lisent maintenant séparément, sans même savoir d'où elle est extraite, sans avoir aucune connaissance du contexte global dans lequel cette discussion entre l'avatar du dieu Vishnu et du grand guerrier demi-dieu Arjuna prend place. Ben, c'est bien cette épopée qu'on va faire connaître. Tu devrais être contente. Allez, laisse ta théière et viens t'échiner à nos côtés.
Bizarrement cette fois elle m'écoute. Alors on se rend tous dans la grange, on s'assied en tailleur à même les planches qu'on a lavées récurées à grande eau hier. On se met en cercle, et on se plonge dans le texte. On avait choisi de jouer la pièce de Peter Brooks, Battlefield, inspirée d'une scène de cette fameuse épopée multi-millénaire. Elle mettait en scène l'après guerre. Après que ces deux grandes familles se soient confrontées, après que les plus sages aient remporté la bataille. Des rivières, des fleuves de sang coulaient. Chacun avait perdu un frère, un cousin, un fils, un maître révéré. Tous pleuraient. Tous hurlaient leur douleur, leur détresse. Le futur souverain, le souverain parfait- fils du dieu Dharma, l'ordre de l'univers - allait enfin être à sa vraie place et gouverner. Mais il pleurait aussi. Il se rappelait ces mots qu'il avait échangés avec son père un jour, alors que Dharma le testait. Qu'est-ce que la guerre ? lui avait-il demandé. Et du tac au tac, sans hésitation, il avait répondu ; la seule bonne réponse qui soit : Une défaite.
Depuis le début de l'histoire ceux dont le rôle était de gouverner s'y refusaient, méprisaient la position méritée, rejetaient le pouvoir, laissant ainsi les moins sages jouer ce rôle à leur place. Et le monde allait mal, de plus en plus mal. Ils avaient tout fait pour éviter cette guerre. Des décennies durant ils avaient essuyé les travers du destin et baissé la tête face aux injustices qui leur avaient été infligées. Les cinq frères demi-dieu étaient restés soudés, unis comme les doigts de la main, réunis autour de leur épouse commune, l'absolue parole de vérité.
- Distribuons les rôles. Qui veut incarner quel personnage ? Tous sont centraux et d'égale importance. Cherchez en vous ce que vous pourrez le mieux interpréter.
Tous s'étaient plongés dans leur intériorité, portant une dernière réflexion avant de se prononcer. Les uns après les autres ils avaient donné un nom. Et la beauté de la troupe m'a frappée alors, plus que jamais. Il n'y avait aucun comédien qui avait désiré le même rôle qu'un autre. Et leurs choix étaient si appropriés que je n'ai eu qu'à m'incliner.
- Et toi, Marlène ?
- Moi je veux faire la terre, quand elle se manifeste pour bloquer la roue du char de Karna, fils du dieu soleil.
- Cette scène n'est pas dans la pièce, tu le sais bien.
- Et pourtant c'est là que tout bascule. Il faut la rajouter dans la pièce.
Ah j'ai failli exploser de colère. Quelle emmerdeuse. C'est elle qui nous unissait tous. Et c'est elle aussi qui posait infailliblement des problèmes, qui me rendaient fou. Heureusement que Pierre s'est manifesté. L'écrivain, le littérateur, le musicien, le doux, l'inspiré.

Di focu è di ghjacciu, di Dominique Leoni


Scala di Santa Regina, Ghjinnaghju 21.
Alba sintia u ventu ghjacciatu brusgià i so ochji. A nevi falaia dipoi parechji ghjorni avali è ricupraia i vistighi di l’anzianu ponti. Lestra com'è una capra, saltaia annant’à i chjappi, falendu à trafalera in ‘ssu vadinu pitricosu, finu à u fiumu quà inghjò. Avvicinendu si, u ribulionu infuriatu di l’aqua era u solu rimori chì ricuccaia contr’à ‘ssu celu di piombu. Dipoi chì i bàrbari cù l’ochji chjari erani quì, Alba si purtaia sempri à Lubu cun’edda. L’animali marchjaia in i passi di a so maestra è staia sempri à fiancu à edda.
U fiumu falaia, scemu è scatinatu. L’aqua linda era sempri stata una chjama irresistìbili pà edda. Si avvicinò, è cavò i piloni chì a cupriani. Sottu à ‘ssu celu biancu, a so peddi chjara è marmarata da u frettu avia u culori di a nevi chì s’inziffa à mezu à qualchì radighi nudi. Intrì in aqua, avanzendu pianu, è sintì i mursicati di un frettu pazzu chì curria annant’à i so ghjambi, po’ annant’à u so corpu, eppo’ in qualchì minuti, ùn sintia più nudda. À cantu à edda Lubu biia senza perda di vista a so maestra. Alba sarrò l’ochji. Ripinsaia à ciò chè l’avia dittu a vechja streia cù l’ochji bianchi. T’aghju vistu in i me sogni… Ascolta mi, quandu u brionu stracciarà u celu, teni i to ochji chjusi è volta ti ni à daretu annant’à i to passi. ‘Ssi paroli ribumbaiani in u so capu dipoi a matina. Si invinuchjò in aqua è intrusciò a so faccia è i so capeddi. U vaddu di petra era patimu, mutu, ghjimpiutu solu di a furia di u fiumu.
Eppo’ un frisciu strìdulu falò da u celu com’è una saetta. Alba aprì l’ochji è s’arrizzò subitu. Pisò u capu è vidì un filanciu chì vuddia sopra à edda. Si vultò versu à Lubu. L’animali rugnicaia mustrendu i denti.
In faccia à edda, da l’altra parti di u fiumu, Karald a fighjulaia, stantaratu. Li paria chì i so ochji, chjari com’è l’aqua, pigliaiani focu licchendu ‘ssa peddi bianca, ‘ssi petti alti, è ‘ssi capeddi neri. Si ramintò chì l’ultima volta chì era statu abbaghjulatu cusì era trè anni fà, quandu erani ghjunti annant’à st’isula, eddu è tutta a so sterpa, i so bateddi passendu sotta ‘ssa rocca bianca tamanta chì sbucciaia da quidd’aqua smiralda. Eddu è tutti i soi erani fermi amutuliti, com’è culpiti da qualchì divinità straniera, davanti à ‘ssi chjappi spampillulenti sott’à u soli, è chi tuccaiani guasgi u celu. Avali Karald avaria vulsutu fà lu un segnu di a mani ch’edda un avissi paura è scappà si ni. Ùn cunniscia mancu qualchì parola di ‘ssa lingua pagana ch’eddi parlaiani, edda è i soi.

jeudi 26 mars 2020

Ubbiettivu : Sud, di Clément Parigi

L’umbruchja incappuccinata, appena visibuli in a bianca stesa antartica, avanzaia difficiuli annant’à u sulaghju nivicosu di st’orlu di u mondu. L’omu, prutettu da parichji strati di tissutu è di piddiccia, purtaia in coddu u pocu d’ecchippamentu è di nutritura ch’iddu avia pussutu salvà. Era catapughjatu da u ventu è a so dimarchja palisaia unu statu di fatica avanzatu è forsa dinò una firita à l’anca. Cusgita annant’à u so pettu, una bandera triculora turchina, bianca, russa à tempu à a minsioni « Spidizioni di a cruci di u sud » è i stiddi di a custiddazioni eponima.

A prima spidizioni di a storia di l’umanità à u polu sud, era l’ubbiettivu à principiu di setti avvinturieri. Supraviva, hè u scopu oramai di u solu scampatu trà quissi spluratori ch’idda scassò a timpesta.
Lucien Debret s’era intanatu in unu sbucaru naturali duva avia stabilitu un campu à quel versu, par passà uni pochi d’ori in l’idea di nutrisciasi è d’arripusassi pur’ chè puri. Manghjendu in a so cammedda, ingrunchjatu com’è un vimbroniu davanti à un fucareddu, fighjulaia a so prisacca posta vicinu ad iddu è nant’à qualissa era raprisintata a stessa custiddazioni chì adurnaia u so pettu.
Quali avia pinsatu à sta cruci di u sud ? Ùn s’invinia chè di i meni ralligrati di i so cumpagni – i so curci cumpagni – à l’idea di purtà una marsina incruciata annant’à u pettu. Iddu stessu truvaia l’idea propiu bella : ugni splurazioni hè, apressu tuttu, una pitricedda in a cruciata civilizatrici auropea.
Lucien ripresi a so strada cù a stessa ustinazioni chì l’abitaia dipoi ch’iddu aviu presu u mari pà u gran’ sud. Senza ‘ssa ditarminazioni d’acciaghju, saria ghjà statu tumbu middi volti da ‘ssu cuntinenti ustili. Rispirà era difficiuli. Avanzà era difficiuli. Ugni gestu duvintaia avali una prova. Ùn ci vulia supratuttu micca à ascultà u dulori chì cumandaia d’arristà… Ma ùn ci vuliu à essa ciuncu à i so silenzii, chì indittaiani chì u corpu era in traccia d’attrunchjassi à modu priculosu in u fritu.
Ripinsaia à i sacrifizii di l’omini chì l’aviani sicundatu in quissa missioni. Quissi ch’erani morti nanzi di ghjunghja à l’ubbiettivu. Quissi ch’erani morti dopu ad avè vistu a bandera nurvegiana quì ind’iddi sunniaiani tutti di ficcà una bandera francesa. Quissu ch’era mortu pà pirmettali di varcà quiddu rampali cù un massimu di nutritura è un minimu di disguasti.
Ssa cursa di i nazioni avia custatu a vita di tanti parsoni, in darru. Quì, nisciun’ paesu pudia pratenda à i fruntieri. L’immensità immaculata inghjiru à Debret rivirbiraia u scrizzulimu di i so passi. I stata, a civilizazioni erani beddi alluntanati da iddu à quissu mumentu. Era com’è persu annant’à un altru mondu, annant’à una tarra salvatica. L’ultima terra incognita di a pianetta.

mercredi 25 mars 2020

Corail, de Marie Burel

Accroché au rocher, notre substrat, dans notre monde,
je suis là, minuscule et nous sommes des milliers.

Mon existence parmi mes semblables parait si ténue.
Pourtant, nous embrassons les îles, contournons les atolls, définissons les courants marins. Les lagons nous doivent leur tranquillité.

Nous formons de gigantesques serpents le long des côtes océanes.
On nous voit du ciel.
Cette voûte céleste que j’entrevois parfois quand
la mer se creuse.

D’ailleurs ce soir, elle me comble. A l’aplomb de sa cambrure, j’aperçois les étoiles, très loin là-haut.
Innombrables, comme nous.
Elles pulsent sur un rythme qui m’est familier.
Un lien invisible nous rapproche, celui de la vie.

La Lune toujours présente à travers le filtre de l’eau me parait énorme, difforme comme prête à éclore.
Elle touche l’horizon, sa base s’irrite au contact des flots qui s’aiguisent, s’épand en nappe de soufre sur l’horizon hérissé de mercure.

Mon univers bleu s’enfonce, vire au violet. L’obscurité gagne.
Les abysses noircissent.

Au-dessus de nous la houle s’amplifie. Nous sommes propulsés d’un côté et de l’autre. La tête me tourne, mes bras ouverts s’étalent dans le courant de plus en plus violent.
Une première vague immense se dresse comme un pic vertigineux, un abîme aérien s’ouvre sur la nuit étoilée nous laissant un instant pétrifiés.
Puis c’est la déferlante. Forte, puissante, capable de nous arracher jusqu’au cœur.
Elle est verte et bouillonne d’écume fluorescente.

Ces géantes se succèdent pendant une éternité. La colonie résiste. Elle a subi bien d’autres furies durant des siècles.

Objectif : Sud, de Clément Parigi


La petite silhouette encapuchonnée, à peine visible dans l’étendue blanche antarctique, avançait difficilement sur les tapis neigeux du bout du monde. L’homme, protégé par de multiples couches de tissus et de fourrures, portait sur son dos le peu d’équipement et de vivres qu’il avait pu sauver. Il était bousculé par les vents et sa démarche trahissait un état de fatigue avancé et probablement une blessure à la jambe. Brodé sur son torse, un drapeau tricolore bleu, blanc, rouge ainsi que la mention « Expédition de la croix du sud » et les étoiles de la constellation éponyme.

La première expédition de l’histoire de l’humanité à atteindre le pôle Sud, c’était l’objectif de départ des sept aventuriers. Survivre, c’est à présent l’objectif du seul rescapé de la tempête qui terrassa un à un les explorateurs.
Lucien Debret s’était terré dans un renfoncement naturel où il avait établi un camp de fortune pour passer quelques heures afin de se nourrir et de se reposer brièvement. Mangeant sa gamelle en position quasi fœtale devant un maigre feu, il contemplait son sac à dos posé près de lui et sur lequel était représentée la même constellation qu’il arborait sur son torse.
Qui avait eu cette idée de croix du sud ? Il ne se souvenait que des mines réjouies de ses camarades - de feu ses camarades - à l’idée de porter un tabard croisé sur le torse. Lui-même trouvait l’idée assez belle : toute exploration est, après tout, une petite pierre dans la croisade civilisatrice européenne.

Lucien reprit sa route avec cette même obstination qui l’habitait depuis qu’il avait pris la mer pour le grand sud. Sans cette détermination sans faille, il aurait déjà été tué mille fois par ce continent hostile. Respirer était difficile. Avancer était difficile. Tout geste relevait désormais de l’exploit. Il ne fallait surtout pas écouter la douleur qui ordonnait d’arrêter… Mais il ne fallait pas être sourd à ses silences qui signifiaient que le corps était en train de s’engourdir dangereusement dans le froid.
Il repensait aux sacrifices des hommes qui l’avaient épaulé dans cette mission. Ceux qui étaient morts avant d’atteindre l’objectif. Ceux qui étaient morts après avoir vu le drapeau norvégien là où ils rêvaient tous de planter un drapeau français. Celui qui était mort pour lui permettre de franchir ce ravin avec un maximum de vivre et un minimum de dégâts.
Cette course des nations avait coûté la vie de tant de personnes, en vain. Ici, nul pays ne pouvait réclamer de frontières. L’immensité immaculée autour de Debret réverbérait le crissement de ses pas. Les états, la civilisation étaient bien loin de lui à présent. Il était comme perdu sur un autre monde, sur une terre sauvage. L’ultime terra incognita de la planète.

mardi 24 mars 2020

Nenikekamen, de François Cucchi

Il avait rejoint les rangs de son armée, positionnée sur cette plage pour barrer la route à l’envahisseur barbare.
Que voulaient-ils ces hommes venus de l’autre côté de la mer ? Ils étaient si nombreux, leurs navires masquaient l’horizon. Ils avaient déjà soumis les cités du nord sans la moindre difficulté et à présent ils avançaient sur la somptueuse Athènes.
Quel était leur nombre, nul ne le savait, on racontait qu’ils asséchaient les cours d’eau lorsqu’ils se désaltéraient.

Il avait pris place avec ses compagnons, il était sur le flanc droit de la phalange. Les stratèges avaient été clairs, sur eux reposaient l’avenir de leur cité et de la Grèce. Bien que largement inférieurs en nombre ils ne devaient en aucun cas se laisser déborder.
Le port de son équipement lui était pénible, son armure, son casque, son bouclier et ses diverses protections pesaient lourd. Il se sentait si faible, ses jambes tremblaient à chaque pas, il ne trouvait pas son souffle, le moindre muscle de son corps était tétanisé.
L’armée athénienne campait ici pour empêcher le débarquement ennemi.

Lui, Philippidès le messager avait été envoyé quérir le soutien de Sparte la rivale.
Il s’était élancé quatre jours plus tôt au petit matin, quatre jours, une course contre le temps, une vie lorsque leur condition d’hommes libres devait se décider.

Hélios, sur son char doré envoyait des rayons qui lui brûlaient la peau.
Jamais il n’avait couvert une telle distance, courir toujours courir, marcher le moins possible et raccourcir les pauses.
Il aimait son pays. Avec ses montagnes et ses vallées la Grèce était enchanteresse. Il ne savait pas combien il en avait franchi.
La nuit tombée Séléné, resplendissante, avait illuminé le ciel nocturne de cette fin d’été pour lui permettre de mener à bien sa mission.

Hélios, quant à lui, avait largement entamé sa course céleste quand, sur une crête, il marqua une halte. L’ascension avait été difficile, il touchait au but, il le savait. Une petite pause avant de repartir mobiliser la meilleure armée de la péninsule.
Le soutien tant espéré d’Hermès, le messager des Dieux, se faisait attendre.
Il entendit jouer une flûte, un air envoûtant. Il se redressa, il était captivé, il quitta le chemin, s’avançant entre les arbustes.
Il était envahi par la sérénité, son pas était léger, comme s’il ne touchait plus le sol. Ce qu’il vit le stupéfia. Assis sur un rocher une créature jouait. Son instrument était composé de plusieurs tubes de roseaux taillés et disposés par ordres de taille, ils étaient maintenus entre eux par deux ligatures d’or. Il ne sembla pas remarquer la présence de Philippidès.
Mi-homme mi-bouc, son torse et ses bras étaient semblables à ceux d’un être humain, sa musculature était parfaite, il s’en dégageait une sorte de puissance brute, pure, il aurait fait pâlir le meilleur des guerriers Spartiates. En guise de jambes il possédait deux pattes arrière de bouc. Son visage était humain surmonté de cornes. Sa chevelure hirsute et sa longue barbe contribuaient à sa laideur mais il était majestueux, il dégageait une force dont Philippidès ne pouvait prendre la mesure.
La créature cessa de jouer. Sans même se retourner il s’adressa à lui.

lundi 23 mars 2020

Entre Chien et Loup, de Dominique Leoni

- Voilà. L’autre moitié quand c’est fait. Y a une photo dedans. Oh ?! Tu es là ou pas ??
- Oui c’est bon.
OK… Je me casse et tu ferais mieux de pas traîner toi non plus. Et puis arrête un peu avec ta came, ça te fait mal délirer !
Ouais c’est ça putain casse toi. Quelle came, enfoiré ? Parce que je suis pas concentré ? C’est vrai que je tremble un peu. Rien qu’à voir l’épaisseur de l’enveloppe, il y a sûrement plus de fric là-dedans que ce que j’ai pu avoir dans toute ma vie. Je vais aller l’ouvrir dans les chiottes, tranquille.
Fais voir un peu… Putain le blé c’est un truc de fou ! Fais voir sa tête de con à lui… Une bonne tête de martyr … Regarde ces bonnes joues et l’air con qu’il a ! Je parie qu’il a une petite femme avec des bonnes joues comme lui ! Des bons petits bourgeois ! Putain c’est vrai que je tremble ! Il fait tellement froid aussi… Bon allez je me casse, maman doit s’inquiéter encore.
Qu’est-ce qu’il fait froid… Elle sent de plus en plus la pisse cette rue, peut être que toute la ville vient pisser ici le soir ? Putain c’est qui celui-là ? On dirait le mec sur la photo… Ah non rien à voir, faut pas que je le voie partout !
- Lisandru !! Attends-moi !
Putain c’est qui ?! Ange !! Mais qu’est-ce qu’il veut encore ?
- Lisandru ! Regarde le pistolet que Tonton Antoine m’a acheté !! Tu as été au bar ? Y avait des filles qui montrent leurs nichons ? Tonton Antoine dit qu’il y en a une ou deux là-bas qui rapporteraient pas mal !
- Ange, qu’est-ce que tu fais encore dehors ? Et tes devoirs ? Très beau ton pistolet…
- Je m’en fous des devoirs, quand je serai grand j’aurai des filles moi aussi, comme il a eu Tonton Antoine !
- Ah ouais ? Viens, on rentre au chaud, putain où j’ai mis mes clefs… Et tu resteras au frais pendant quelques années comme Tonton Antoine, non ? C’est dommage… Ta mère m’a dit que tu avais eu de bonnes notes en orthographe. Viens aux bras, on va voir Tata, elle va être contente… Maman ! Je suis rentré ! Je t‘emmène une surprise ! Allez Ange, je vais un moment dans ma chambre. Va lui faire un bisou, et ne lui parle pas de tes conneries, hein !

dimanche 22 mars 2020

Chaos, de Laure Vincenti

Je suis un monstre une sale personne une mauvaise mère. Je voudrais l’aimer j’vous jure mais j’y arrive pas. J’y arrive plus. Je l’ai tellement désirée pourtant, si vous saviez. J’écoutais mon ventre et reniflais ma chair. J’observais ma peau. Elle se striait. C’était beau je crois.

Vous me l’avez arrachée d’entre les cuisses. Je suis une bonne à rien. Même pas bonne à accoucher putain.

Mais, comme d’habitude, vous aviez rien compris ! Elle devait rester dans mon ventre, il fallait la préserver de moi, c’est ça qu’il fallait faire j’vous dis ! Je suis un monstre une sale personne une mauvaise mère.

Mais vous l’avez posée sur mes seins nous forçant à un peau à peau maladroit. J’ai rien senti. Vide. Trop tard. Elle est née elle est là elle m’efface j’existe plus transparente inutile. Je suis une Bonne à rien. Je me vomis elle me terrorise. J’vais pas savoir l’aimer, c’est sûr.
Aidez-moi.

Nous voilà abandonnées dans la vie.
J’ai chaviré. Aimante maltraitante violente malmenée tout se mélange. C’est ma faute ? Non oui je sais plus pardonnez-moi je suis perdue. Elle me fait tellement peur je suis épuisée je vais pas résister j’y arrive plus elle pleure fort elle me fait mal elle m’agresse. Mon cerveau vrille il faut qu’elle se taise. Je la délaisse. C’est mal, je sais, mais c’est plus fort que moi. Vous devez la protéger elle est si fragile je pourrais la briser.

Aidez-la s’il vous plaît venez la chercher je dors plus ses larmes me brûlent j’arrive pas à la regarder je m’assomme de cachets je m’isole. Je l’enferme. C’est pour la préserver je vous promets ! Aussi pour l’oublier. 
Pourtant, je me souviens, je l’ai aimée. Dans mon ventre.
Alors je reviens. Je la prends dans mes bras, c’est ce que je dois faire, je crois. Gestes brusques paroles tranchantes je fais mal je voudrais tant la caresser elle est si douce. Lui sourire ou juste lui expliquer. Je fais mal.

Tombalu, di Laure Vincenti

- « O mà, tombalu ».
Ùn ne possu più di u so rispiru sfiatatu quand’ella vene l’ora di minatti.
Ti trascini, ti vultuli, ti cincini, mi pari tuttu iss’insettu grisgiu cù a chjoppula scura chì m’amusava tantu tandu.
Ti n’arricordi o mà ?
Un mignoculu. Era un mignoculu. L’insettu sì tù oramai.
Certe volte, mi falave in piazza per fughjelu. Mi dicie ch’ellu ci vulia à ghjucà à cuntà e farfalle bianche. Ognitantu e giale, più scarse.
Ma eo preferia i mignoculi, mi facianu ride cù a so manera d’imbucinassi nant’à elli tempu ch’avvicinava un ditu di u so curpucciu ripugnevule.
- « O mà, tombalu ».
Issi lagnulimi quand’ellu ti inciacca, mi danu guasi u vomitu. Mi piacerebbi tantu à chjode l’ochji è ch’ella smarisca. Ma quandu facciu u neru ingiru à mè vecu solu i mignoculi chì mi trascinanu addossu ùn vegu mai e farfalle provu a ti ghjurgu o mà ma ùn a ci facciu a ghjurgu nant’à u mo capu di zitellu.
- « O mà, tombalu ».
Ogni colpu chì ti spella disceta e nostre notti. M’arricordu di tè quandu, ghjimbata à u pede di u lettu è sempre ingrunchjata da u sonnu, mi curave cù clozapine è basgi magichi.
- « O mà, tombalu ».
Ti guasta è dopu puzzi u sangue seccu è ai u fretu. Tandu ti sussuru una canzona dolce una canzona bassa.
Pizzicu mininu
Rampi rampinu
Ma ùn a senti.
Lucca luccagna
Vai in Balagna
Mi face a paura sai. Un ghjornu t’abbandunerà in un pozzu di sangue. Pienghjerà u to cadaveru dicerà i so rigreti pienghjerà ancu. Ùn vole ghjunghjene custì o mà a sai ùn hè colpa soia.
Ma ti creperà.
- « O mà, tombalu ».
Tombalu di spinu per ùn avè à crucià u so surrisu zitellinu è risicà di rinuncià.
I mignoculi ùn meritavanu quessa.
Scordati di quale ellu hè.
- « O mà, tombami ».


Nuvella di Laure Vincenti

Pittura di Colette Cohen-Abbate

samedi 21 mars 2020

Je suis parti, de Laure Vincenti

Je suis parti. C’était juste après avoir ramassé mon petit frère, à l’heure du couvre-feu, ventre ouvert au milieu du quartier.
Un corps en lambeau, déchiré dans le dernier bombardement d’Idleb. Des bouts de chair brûlée que j’ai enveloppés dans les traditionnelles étoffes blanches. Des draps ordinaires en fait. Quelques morceaux d’un frère que je n’ai pas eu le temps de pleurer. La faute à la guerre il parait. Il s’appelait Nour, il avait onze ans.
Je suis parti ce jour où j’ai tout perdu. Je ne l’ai ni décidé, ni espéré. Je n’ai été ni heureux de sortir de l’enfer, ni hésitant au moment de monter dans ce camion surchargé. J’ai brûlé les quelques affaires qu’il m’était impossible d’emporter et d’oublier. Et je suis parti, c’est tout.
J’étais peut-être le prochain civil à devoir crever sous les balles d’un sniper ou les tirs d’un mortier. Le prochain corps qu’il aurait fallu ramasser. J’allais mourir c’est sûr. Sous les bombes. Ou bien de faim. Ou de folie.
Je suis parti parce que j’avais peur.
Tes terres n’étaient pas mon eldorado pourtant. Elles n’existaient que dans mes lectures, le temps de nourrir mon imaginaire et ma curiosité. Tu aurais fait quoi, toi, si tu avais été moi ?
Tu aurais attendu la milice en comptant tes cadavres ? Tu aurais continué à égrainer ton chapelet au rythme des mouches suçant tes morts ? Aurais-tu résisté à l’écroulement de tes murs et de tes projets ?
Je sais que non.
Comme moi, tu te serais pissé dessus au premier bombardement. Et ça pue, tu sais, l’urine qui sèche. Tu aurais chialé aussi, devant chacune des listes de disparus qu’on t’aurait obligé à lire. Et puis tu serais parti.
Moi, je me forçais encore un peu à rire pour couvrir le silence du carnage. Rien n’avait plus de sens.
J’ai échoué sur tes côtes, c’est vrai. Mais ça n’a jamais été un choix, crois-moi ! Je les vomis, tes terres ! Elles me rappellent tous les jours mon errance mes peurs et mon pays maudit.

vendredi 20 mars 2020

Sonate d'automne, de Florence Vizet

Il pleut sans relâche. Les gouttelettes d’eau glissent sur la vitre et forment un voile embué. Au loin, un rayon de soleil éclaire l’eau de ses reflets argentés, le vent caresse les branches et fait danser les feuilles couleur d’automne. Les nuages se reflètent dans les flaques dans un camaïeu de gris, les gouttes d’eau continuent à tomber et composent une petite sonate silencieuse.
Ses bottes foulent les feuilles mouillées qui forment un tapis aux couleurs mordorées. Il s’est levé tôt, a pris un panier et la canne à pêche fabriquée la veille avec un long bout de bois ramassé, un fil et un hameçon de fortune.
« Pas cap’ d’attraper un poisson avec ça, mon gars ». Son grand-pa l’a piqué dans sa fierté, alors il est bien décidé. Il va chercher des asticots dans le grand tas de fumier derrière la ferme, et en prend une poignée, un par un.
Il marche à travers ces grandes étendues de forêt qu’il connaît depuis l’enfance, ces chênes, ces sapins sombres et imposants.
Il arrive à l’endroit qu’il aime tant, avant le petit pont où coule un ruisseau. Il aime le bruit délicat de l’eau qui s’écoule, le clapotis sans cesse répété des vaguelettes sur les rochers et le champ de fraises des bois qu’il grappille accroupi. Il atteint le bord de l’eau et s’assied sur la mousse, le dos contre un tronc. L’écorce lui rentre dans les omoplates. Les pins perdent leurs aiguilles et la sève coule, les pommes de pins jalonnent le sol humide.
Après peu de temps, la ligne se tend. Quelle déception, ce n’est qu’un petit goujon. Il essaie d’enlever l’hameçon délicatement, mais la courbe de l’aiguille est trop enfoncée à travers sa gueule ouverte. Son œil immense le regarde, gris, vitreux, implorant. Il pleure, s’énerve, lui enlève comme il peut et le rejette à l’eau.
Les heures passent. Son esprit s’envole et plane au-dessus de la nature.
Autrefois, ces bois, ces forêts étaient son aire de jeux. Ses arbres, il les connaît bien, il aimait y grimper de branche en branche, bien s’agripper d’une main puis l’autre, mettre un pied sur une branche plus haute et se soulever, y construire une cabane. De là-haut, il laissait ses yeux vagabonder sur les vastes collines vertes où les grands lacs dessinent des traînées bleues, sur les cimes des forêts d’érables et d’épicéas dans lesquelles le vent se glisse et crée une mélodie, et au loin, le St Laurent.
Perché, tranquille, il voyait un monde grand et beau, un monde qui l’invitait à découvrir ces montagnes enneigées, ce fleuve large, cette mer froide.
Il se souvient de leur journée rien que tous les deux. Il faisait plus froid qu’aujourd’hui. Ils avaient embarqué à Tadoussac sur un vieux bateau de pêche rafistolé avec son paternel. Ils avaient navigué quelques heures en silence le long de la Grande rivière qui marche et avaient croisé quelques navires marchands. La brume s’était levée et l’immense bloc de roche percée s’était dressé, fier et robuste, modelé par les vagues. La mer était d’un bleu glacial et l’écume des vagues blanchissait leurs crêtes. Le plateau aux maigres herbes était envahi de pingouins, de mouettes et de cormorans qui faisaient un vacarme assourdissant. Des goélands les survolaient.

L'éveil, de Zoé Legrand

Je ne sais plus ce que j’ai fait hier. Je me suis encore oubliée. L’aurore est passée, on peut distinguer une sphère entière au-dessus de l’horizon. Je suis recouverte de sable d’un blanc éblouissant et chaque grain imprégné de soleil peine à réchauffer ce corps qui semble avoir passé la nuit ici. La nuit est froide sous les étoiles, elle nous glace jusqu’au sang si on ne fait pas attention et je ne pense pas avoir été prudente. Je n’ai pas la force de me lever, défier la gravité me paraît insurmontable. Je ne vois pas grand-chose.
Au-dessus de moi un dôme d’un bleu ciel. J’y suis tellement habituée que je ne le considère plus comme un avantage, je le remarque à peine. D’un léger mouvement, je distingue une immense étendue d’eau. Je ne m’étais jamais rendu compte de ce scintillement à la surface. Des milliers de paillettes d’or qui s’allument à chaque micro mouvements de ses milliers de molécules. Nous sommes passés à l’heure où ses éclats tentent de former une ligne sous l’horizon. La sphère brûlante est déjà bien plus haute qu’à mon éveil. Je suis seule sur cette plage, je ne le vois pas mais je l’entends. Le peu de son qui atteint mon ouïe est celui des va et vient des vagues. Le calme pourrait être apaisant si les pensées ne s’étaient pas autant agitées. J’ai encore trop rêvé d’amour. C’est ça que j’ai fait hier.
Je suis restée longtemps plantée là, à ressentir chaque pincement au cœur d’une douleur que l’on n’imaginerait jamais aussi intense que ce qui appartient au monde physique. Et pourtant, trente fois j’aurais préféré me couper un bras. J’ai pleuré pendant des heures sans m’arrêter, des litres et des litres d’eau salée. C’est peut-être moi qui ai inondé le sable et créé ce que je vois. Mon visage me brûle, mon corps est épuisé et mon cœur a disparu. Je ne ressens plus rien. C’est une drôle de sensation, le calme assourdissant après une tempête. Mais il fallait y retourner. Comme une addicte, je devais reprendre une dose de tourment. Cette drogue est plus maligne parce qu’elle n’est pas palpable, elle s’immisce par la pensée. Elle ordonne ensuite de ne plus se nourrir et de ne plus dormir. Et au fur et à mesure que le corps s’affaiblit, elle s’enrichit. Elle s’attaque ensuite au verbe valoir puis au verbe être. Les notions d’ego, de fierté et de dignité disparaissent. Elle s’inscrit pendant des jours puis ne s’arrête qu’après des mois, qui parfois se transforment en années. L’overdose ne vous tue jamais, elle ne fait que renforcer les effets. Il y a des personnes qui s’en sortent de temps en temps, mais pour la majorité ça restera à vie, quelque part dans le sang. Puis quand arrive l’impression de sevrage, un jour au hasard d’une odeur ou d’une voix, un millième de cette dose traverse une artère du cœur et il suffit d’une seconde pour replonger dans ses litres d’eau salé. Il faudrait alors se noyer.
Je crois que c’est ce que j’ai voulu faire hier. Je ne voulais plus respirer. Il fallait que mes pensées arrêtent de crier, que mon corps cesse de ressentir, que la tempête meurt pour emporter tous mes tourments. Je me rappelle maintenant. La lune était un soleil blanc mais la mer était d’un noir absolu. La lumière ne s’accrochait qu’aux grains de sable, ce qui dessinait des contours parfaits. Il n’y avait pas une vague et pas un bruit. Et pendant que le cœur hurlait, je me suis avancée. J’ai quitté la pâleur du rivage pour plonger dans les tons plus sombres qui s’étalaient devant moi. La simple sensation de l’eau à mes chevilles m’avait apaisée, l’idée du début de la fin. Plus mes jambes disparaissaient plus les cris se taisaient, trop concentrés sur l’éventuelle dernière fois qu’ils vivaient. Certains persistaient, les « pourquoi » étaient plus forts que les autres, et les « si » étaient à peine supportables.

Nouvelle de Zoé Legrand

Peinture de Joseph Mallord William Turner

L'île aux 1000 couleurs, de Yassi Nasseri


Nous étions tous réunis autour du feu. Après cette journée longue et rocambolesque, on avait bien besoin d'un peu de douceur. Je nous revois encore, coincés dans cette carlingue d'enfer. Pour un peu on serait resté dedans. Il avait fallu les cris et hurlements de Doug pour nous réveiller à nous-mêmes. On l'aurait étranglé à cet instant-là, puisque tout était de sa faute. Mais bon, il valait mieux lui donner la leçon de sa vie dehors. Le pilote a dégoté le marteau prévu à cet effet. Il a brisé la vitre et nous a fait sortir par l'avant de l'avion. Il voulait nous faire porter les gilets de sauvetage mais on lui a dit de bien nous regarder d'abord. Il s'est tu. On s'est jeté à l'eau les uns après les autres. Trente-cinq artistes peintres, deux hôtesses de l'air, le commandant de bord et son second, et Doug.
On avait échoué près d'une île. L'avion avait réussi à surfer sur l'eau et se mettre à l'arrêt le nez dans l'océan. Le commandant n'avait pas encore repris son souffle qu'on était déjà au sec, les pieds dans le sable. Peter a vomi, Craig a hurlé et Lucy a commencé à faire la maîtresse d'école. Je n'aurais jamais soupçonné que cette plasticienne hurluberlu ait été enseignante dans sa prime jeunesse. Elle a fait le tour des rescapés en furie que nous étions et nous a assigné des tâches, à chacun. Voilà trois semaines qu'on s'adressait pas la parole, et là, subitement, on se retrouvait en summer camp ! Gentiment on suivait ses consignes. Elle nous a réquisitionnés, le commandant de bord, Doug, Sanchez, Paula et moi. Venez, on va chercher de l'eau et si possible quelque chose à se mettre sous la dent tant qu'il fait jour.
L'île n'était pas bien grande, et certes pas habitée non plus. Mais étrangement la plage menait à une forêt qu'on aurait dit hantée. Elle s'ouvrait subitement sur une clairière. Et de là on voyait un sommet. Lucy l'avait repéré avant qu'on crache. Montagne est synonyme de rivière, et d'eau douce. Oui, maîtresse lui ai-je répondu. Évidemment ça l'a fait rire. Doug s'extasiait devant la beauté des paysages, se fatiguait, avait envie de fumer sa clope. Le vrai boulet. Chacun son tour on l'entraînait à sa suite. À toi de faire le babysitting, Paula, moi j'en ai marre. Ok, Al. Allez, viens, Doug, on t'aime tu sais ! C'est à cet instant que je l'ai trouvé touchant. Il avait passé sa vie à faire le babysitter avec nous, bande d'ingérables que nous étions. Pour une fois on échangeait les rôles.
On l'a trouvée, la rivière. Et la Lucy avait des gourdes dans son sac à dos. J'avais bien remarqué son toc en voyage. La folle qui croit toujours qu'elle va manquer d'eau à boire et de récipient. Son toc nous rendait bien service.
Et le clou de la journée a été la partie de pêche improvisée. On va faire dévaler les truites. Toi Doug tu te postes là-haut avec Sanchez et Paula. Vous les empêchez de remonter dans le sens du courant. Vous les effrayez, qu'elles viennent vers nous. Et là. Elle a sorti une toile roulée de son sac à dos. Son deuxième toc. Peur d'être en manque de toile à peindre. Elle a sacrifié sa toile pour nous. On a fait des petits trous dedans et on s'en est servi comme filet de pêche. Chacun près d'une rive, à tenir fort la toile. Les truites se cognaient contre elle, s'agitaient. Le commandant, rusé, a plongé pour attraper le centre de la toile et à nous trois on a remonté le filet. On en était venus à bien s'amuser. Ces trois semaines de galère, oubliées, notre envie de ne plus jamais se voir ni même se croiser, balayée. L'impensable s'était produit. La chose même que Doug avait voulu obtenir. Sauf que cette fois il n'y avait ni caméra ni journaliste ni internet pour diffuser le feuilleton télé !