Il
avait rejoint les rangs de son armée, positionnée sur cette plage
pour barrer la route à l’envahisseur barbare.
Que
voulaient-ils ces hommes venus de l’autre côté de la mer ?
Ils étaient si nombreux, leurs navires masquaient l’horizon. Ils
avaient déjà soumis les cités du nord sans la moindre difficulté
et à présent ils avançaient sur la somptueuse Athènes.
Quel
était leur nombre, nul ne le savait, on racontait qu’ils
asséchaient les cours d’eau lorsqu’ils se désaltéraient.
Il
avait pris place avec ses compagnons, il était sur le flanc droit de
la phalange. Les stratèges avaient été clairs, sur eux reposaient
l’avenir de leur cité et de la Grèce. Bien que largement
inférieurs en nombre ils ne devaient en aucun cas se laisser
déborder.
Le
port de son équipement lui était pénible, son armure, son casque,
son bouclier et ses diverses protections pesaient lourd. Il se
sentait si faible, ses jambes tremblaient à chaque pas, il ne
trouvait pas son souffle, le moindre muscle de son corps était
tétanisé.
L’armée
athénienne campait ici pour empêcher le débarquement ennemi.
Lui,
Philippidès le messager avait été envoyé quérir le soutien de
Sparte la rivale.
Il
s’était élancé quatre jours plus tôt au petit matin, quatre
jours, une course contre le temps, une vie lorsque leur condition
d’hommes libres devait se décider.
Hélios,
sur son char doré envoyait des rayons qui lui brûlaient la peau.
Jamais
il n’avait couvert une telle distance, courir toujours courir,
marcher le moins possible et raccourcir les pauses.
Il
aimait son pays. Avec ses montagnes et ses vallées la Grèce était
enchanteresse. Il ne savait pas combien il en avait franchi.
La
nuit tombée Séléné, resplendissante, avait illuminé le ciel
nocturne de cette fin d’été pour lui permettre de mener à bien
sa mission.
Hélios,
quant à lui, avait largement entamé sa course céleste quand, sur
une crête, il marqua une halte. L’ascension avait été difficile,
il touchait au but, il le savait. Une petite pause avant de repartir
mobiliser la meilleure armée de la péninsule.
Le
soutien tant espéré d’Hermès, le messager des Dieux, se faisait
attendre.
Il
entendit jouer une flûte, un air envoûtant. Il se redressa, il
était captivé, il quitta le chemin, s’avançant entre les
arbustes.
Il
était envahi par la sérénité, son pas était léger, comme s’il
ne touchait plus le sol. Ce qu’il vit le stupéfia. Assis sur un
rocher une créature jouait. Son instrument était composé de
plusieurs tubes de roseaux taillés et disposés par ordres de
taille, ils étaient maintenus entre eux par deux ligatures d’or.
Il ne sembla pas remarquer la présence de Philippidès.
Mi-homme
mi-bouc, son torse et ses bras étaient semblables à ceux d’un
être humain, sa musculature était parfaite, il s’en dégageait
une sorte de puissance brute, pure, il aurait fait pâlir le meilleur
des guerriers Spartiates. En guise de jambes il possédait deux
pattes arrière de bouc. Son visage était humain surmonté de
cornes. Sa chevelure hirsute et sa longue barbe contribuaient à sa
laideur mais il était majestueux, il dégageait une force dont
Philippidès ne pouvait prendre la mesure.
Où
cours tu Philippidès ?
Comment
connais-tu mon nom ?
Tu
ne sais donc pas qui je suis ? Vous les Athéniens m’ignorez
depuis toujours, je me nomme Pan, Dieu des bergers, des pâturages et
des bois.
Pan,
jamais il n’avait eu connaissance de ce nom.
Pardonnez-moi
Seigneur, mes ancêtres vous ont sans doute oublié. Je me rends à
Sparte.
Je
sais parfaitement où tu vas et pourquoi. Tu ne trouveras aucun
secours là-bas, répands ma parole et mon culte à Athènes et tu
auras un soutien bien plus grand que toute l’armée Spartiate.
Sur
ces paroles il se remit à jouer cet air. Philippidès était enivré,
sa vision se troublait et l’image du Dieu se dissipait.
Il
se réveilla à même le sol près du rocher où il avait fait halte.
Était-ce un songe ? La prophétie de cette divinité inconnue
avait semé le doute en lui. Il ne s’était pas assoupi bien
longtemps, Hélios n’avait que peu progressé dans la voûte
céleste. Sans plus attendre il reprit sa course, son pas était
léger, il atteignit Sparte à la tombée de la nuit.
Il
fut conduit au Roi Cléomène lui-même. Jamais encore il ne s’était
rendu dans la cité lacédémonienne. Elle était telle qu’elle lui
avait été contée. Austère, l’architecture était des plus
simples, l’ornement n’existait pas.
La
cité était en fête, cependant les symboles militaires se
trouvaient partout où il pouvait poser son regard. Les tenues, les
airs qui étaient joués, les danses.
En
attendant l’arrivée du Roi il put admirer une reproduction de
l’arrivée des Héraclides, ancêtres des Spartiates. Des jeunes
gens portaient un radeau sur lequel avaient pris place des guerriers.
La scène était surréaliste, Philippidès fut ébloui par la
stature de ces soldats.
Puis
le Roi fit son apparition.
Il
était âgé, mais de sa personne émanait une fougue que l’on ne
retrouvait pas chez bon nombre de jeunes gens.
Cher
ami nous ne pouvons rien pour toi.
Cette
phrase résonna en lui avec le fracas d’un navire éventré par un
éperon ennemi.
Ce
que tu vois ici sont les Karneia, l’armée Spartiate n’entrera
pas en guerre avant leur terme dans trois jours. Alors nous
marcherons sur Athènes et nous enverrons ces barbares rejoindre
leurs émissaires qui sont au fond de ce puits. Tout ce que je peux
t’offrir ce soir sont un bon repas à ma table et le repos que tu
mérites.
Il
savait que la négociation serait vaine et acquiesça. Le sort
d’Athènes serait scellé bien avant l’arrivée des renforts.
Il
accepta l’offre du Roi.
La
nouvelle du déferlement ennemi sur la Grèce s’était répandue et
elle avait donné plus de vigueur aux protagonistes, une sorte de
frénésie non dissimulée s’était emparée de la cité, ils
célébraient les Karneia mais aussi leur départ au combat imminent.
Les
Spartiates n’avaient que faire du destin de la Grèce, seule leur
cité leur importait. Ils étaient si sûrs de leur force,
pensaient-ils pouvoir venir à bout, seuls, de l’incommensurable
puissance de l’armée perse ? Cléomène espérait-il la
destruction d’Athènes pour avoir la main mise sur la Grèce toute
entière ? Ils en étaient capables.
Pan
avait donc dit vrai, la chaleur, sur le chemin du retour, l’assomma,
il avait eu soif, il avait souvent marché.
Et
la bataille s’engagea sur la plage de Marathon, il était
spectateur, il entendait les chants de combat des Athéniens, ceux
des barbares et déjà les premiers cris des mourants venaient se
mêler aux exhortations. Le fer contre le fer, le fer contre le bois,
le fer dans la chair. Ils priaient les Dieux, leur rappelant les
sacrifices passés, il pria Pan, bien sûr il avait fait part de sa
rencontre à ses compagnons.
La
désorganisation des guerriers perses était évidente. Il pensa
qu’une poignée d’hommes faisant front pour leur liberté valait
mieux que des foules d’esclaves.
Ces
hommes avaient été soustraits à leurs familles, avaient abandonné
leur pays pour partir conquérir une terre de l’autre côté de la
mer dans le but de satisfaire l’orgueil de leur Roi. Leur nombre
jouait en leur faveur, ils possédaient dans leurs rangs des bêtes
que les Grecs n’avaient encore jamais vues mais ils ne défendaient
pas leurs femmes et leurs enfants restés à l’arrière, ils ne
défendaient pas leur frère ou leur meilleur ami à leurs côtés
dans l’assaut.
C’est
ainsi que les hoplites grecs avancèrent sur les Perses au pas de
course, sans cavalerie ni archers.
Leur
formidable armement, le désir de porter des coups mortels et de
soutenir jusqu’aux enfers n’importe quelle riposte mit l’armée
perse en échec.
La
phalange athénienne gagnait du terrain, repoussant l’ennemi dans
la mer chargée de cadavres.
Voilà
que l’envahisseur battait en retraite, la victoire fut éclatante,
presque aisée.
Malgré
toute l’ardeur des hoplites athéniens, seule une aide divine
pouvait les avoir menés à un tel triomphe.
Le
fracas des assauts laissa place aux cris de joie et aux chants de
victoire.
Philippidès
avait jeté toutes ses forces dans sa tâche, ils avaient résisté,
ne s’étaient pas fait déborder. Mais elle n’était pas encore
totalement achevée, lui le messager devait annoncer la nouvelle à
Athènes. Porté par l’euphorie de la victoire il chemina à
travers les monts tout le jour durant, Hélios, voilé, était doux.
Il atteint l’Agora au crépuscule.
Il se dirigea vers le
premier homme qu’il aperçut. Ses jambes tremblaient, il ne
parvenait pas à réguler sa respiration, il avait froid, un voile
blanc lui tombait devant les yeux. Terrassé par l’épuisement il
s’effondra et lança dans un dernier souffle :
Nous sommes victorieux. Nenikekamen.
Nouvelle de François Cucchi
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