Je suis un monstre une
sale personne une mauvaise mère. Je voudrais l’aimer j’vous jure
mais j’y arrive pas. J’y arrive plus. Je l’ai tellement désirée
pourtant, si vous saviez. J’écoutais mon ventre et reniflais ma
chair. J’observais ma peau. Elle se striait. C’était beau je
crois.
Vous
me l’avez arrachée d’entre les cuisses. Je
suis une bonne à rien. Même pas bonne à
accoucher putain.
Mais,
comme d’habitude, vous aviez rien compris ! Elle devait
rester dans mon ventre, il fallait la préserver de moi, c’est ça
qu’il fallait faire j’vous dis ! Je suis un monstre une sale
personne une mauvaise mère.
Mais
vous l’avez posée sur mes seins nous forçant à un peau à peau
maladroit. J’ai rien senti. Vide. Trop tard. Elle est née elle est
là elle m’efface j’existe plus transparente inutile. Je
suis une Bonne à rien. Je me vomis elle me
terrorise. J’vais pas savoir l’aimer, c’est sûr.
Aidez-moi.
Nous
voilà abandonnées dans la vie.
J’ai chaviré. Aimante
maltraitante violente malmenée tout se mélange. C’est ma faute ?
Non oui je sais plus pardonnez-moi je suis perdue. Elle me fait
tellement peur je suis épuisée je vais pas résister j’y arrive
plus elle pleure fort elle me fait mal elle m’agresse. Mon cerveau
vrille il faut qu’elle se taise. Je la délaisse. C’est mal, je
sais, mais c’est plus fort que moi. Vous devez la protéger elle
est si fragile je pourrais la briser.
Aidez-la
s’il vous plaît venez la chercher je dors plus ses larmes me
brûlent j’arrive pas à la regarder je m’assomme de cachets je
m’isole. Je l’enferme. C’est pour la préserver je vous
promets ! Aussi pour l’oublier.
Pourtant, je me souviens,
je l’ai aimée. Dans mon ventre.
Alors je reviens. Je la
prends dans mes bras, c’est ce que je dois faire, je crois. Gestes
brusques paroles tranchantes je fais mal je voudrais tant la caresser
elle est si douce. Lui sourire ou juste lui expliquer. Je fais mal.
Elle
tremble elle convulse.
Elle va sombrer elle
aussi, vous savez !
Son regard se détourne
elle a compris elle m’abandonne. Elle a raison. La pauvre. Elle
aurait pas dû naître. Je suis une Bonne à
rien. Elle me fait de la peine. Elle me
ressemble tant, par pitié ! Venez vite je vous en supplie.
Regardez, elle est si triste.
Emmenez-la.
Elle
me rappelle ce que je suis. Une enfant perdue une enfant battue.
C’était un monstre une
sale personne, ma mère.
Trop tard.
C’est à cause de vous,
vous savez ! Vous avez jamais rien compris. Vous êtes jamais
venus
me chercher ni maintenant ni quand j’étais enfant vous m’avez
oubliée. Vous l’avez laissée m’insulter. T’es
qu’une Bonne à rien. Me briser les
poignets. M’enfermer. M’oublier. Des heures des jours je sais
plus. J’avais peur j’avais faim j’étais sale je pouvais ni
pleurer ni parler je détournais le regard quand elle rentrait.
Aidez-moi
avant que je nous tue.
Nouvelle de Laure Vincenti
Peinture de Giovanni Segantini
Nouvelle de Laure Vincenti
Peinture de Giovanni Segantini
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