dimanche 22 mars 2020

Chaos, de Laure Vincenti

Je suis un monstre une sale personne une mauvaise mère. Je voudrais l’aimer j’vous jure mais j’y arrive pas. J’y arrive plus. Je l’ai tellement désirée pourtant, si vous saviez. J’écoutais mon ventre et reniflais ma chair. J’observais ma peau. Elle se striait. C’était beau je crois.

Vous me l’avez arrachée d’entre les cuisses. Je suis une bonne à rien. Même pas bonne à accoucher putain.

Mais, comme d’habitude, vous aviez rien compris ! Elle devait rester dans mon ventre, il fallait la préserver de moi, c’est ça qu’il fallait faire j’vous dis ! Je suis un monstre une sale personne une mauvaise mère.

Mais vous l’avez posée sur mes seins nous forçant à un peau à peau maladroit. J’ai rien senti. Vide. Trop tard. Elle est née elle est là elle m’efface j’existe plus transparente inutile. Je suis une Bonne à rien. Je me vomis elle me terrorise. J’vais pas savoir l’aimer, c’est sûr.
Aidez-moi.

Nous voilà abandonnées dans la vie.
J’ai chaviré. Aimante maltraitante violente malmenée tout se mélange. C’est ma faute ? Non oui je sais plus pardonnez-moi je suis perdue. Elle me fait tellement peur je suis épuisée je vais pas résister j’y arrive plus elle pleure fort elle me fait mal elle m’agresse. Mon cerveau vrille il faut qu’elle se taise. Je la délaisse. C’est mal, je sais, mais c’est plus fort que moi. Vous devez la protéger elle est si fragile je pourrais la briser.

Aidez-la s’il vous plaît venez la chercher je dors plus ses larmes me brûlent j’arrive pas à la regarder je m’assomme de cachets je m’isole. Je l’enferme. C’est pour la préserver je vous promets ! Aussi pour l’oublier. 
Pourtant, je me souviens, je l’ai aimée. Dans mon ventre.
Alors je reviens. Je la prends dans mes bras, c’est ce que je dois faire, je crois. Gestes brusques paroles tranchantes je fais mal je voudrais tant la caresser elle est si douce. Lui sourire ou juste lui expliquer. Je fais mal.

Elle tremble elle convulse.
Elle va sombrer elle aussi, vous savez !
Son regard se détourne elle a compris elle m’abandonne. Elle a raison. La pauvre. Elle aurait pas dû naître. Je suis une Bonne à rien. Elle me fait de la peine. Elle me ressemble tant, par pitié ! Venez vite je vous en supplie. Regardez, elle est si triste.
Emmenez-la. 

Elle me rappelle ce que je suis. Une enfant perdue une enfant battue.
C’était un monstre une sale personne, ma mère.
Trop tard.
C’est à cause de vous, vous savez ! Vous avez jamais rien compris. Vous êtes jamais venus me chercher ni maintenant ni quand j’étais enfant vous m’avez oubliée. Vous l’avez laissée m’insulter. T’es qu’une Bonne à rien. Me briser les poignets. M’enfermer. M’oublier. Des heures des jours je sais plus. J’avais peur j’avais faim j’étais sale je pouvais ni pleurer ni parler je détournais le regard quand elle rentrait. 
Elle m’aimait des fois, c’est vrai. Mais c’était un monstre une sale personne une mauvaise mère.

Aidez-moi avant que je nous tue.


Nouvelle de Laure Vincenti

Peinture de Giovanni Segantini

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