Huit
jours déjà que la tempête les avait immobilisés, ils n'avaient
plus ni combustible ni nourriture. Wilson et Bowers ne pouvaient plus
attendre le trépas, ils en avaient fini la veille en ingurgitant les
tablettes d'opium dont chacun disposait. Sans un mot. Le Capitaine
Scott avait choisi d'affronter la mort en face. Facétieux destin, la
tempête avait cessé. La plus belle journée depuis des semaines.
Ils
avaient atteint le point le plus éloigné de la civilisation sur
Terre, le bout du monde, une autre planète. Ils avaient franchi la
Grande Barrière de Ross, étendue de glace infinie, des montagnes
culminant à plus de quatre mille mètres où ils durent éviter des
centaines de crevasses dissimulées sous la neige rabattue par les
vents depuis des millénaires comme autant de pièges mortels. Et,
avant d'atteindre le Pôle Sud, le dernier morceau de terre, ils
durent affronter l'immense plateau polaire où l'on est fouetté par
les vents les plus violents et les plus glaciaux du globe.
Et
maintenant que l'on avançait vers la nuit polaire, chaque jour avait
été plus rude que le précédent. Si l'enfer était une fournaise
il ne pouvait être pire que cet endroit.
Il
n'utilisa pas les dernières forces dont disposait son organisme pour
tenter d'atteindre le prochain dépôt de vivres distant de seulement
onze miles. Comment aurait-il pu rentrer alors qu'il avait perdu tous
ses hommes ? Il préféra donner une sépulture à ses compagnons.
Depuis
le début de cette entreprise il avait gardé la foi. Il était resté
noble dans la défaite, devancés par les Norvégiens.
Son
journal, tenu jusqu'à ce jour, serait son testament. Il y avait
rédigé des lettres à l'attention de tous, de ses proches, de sa
femme.
Une
seule personne envahissait son esprit, le Norvégien. Il éprouvait
de la haine.

Et
moi… À attendre que la mort vienne me prendre… Me
retrouvera-t-on ? Se souviendra-t-on seulement de moi ?
Le
froid et la faim étaient tels, nul ne peut imaginer pareille
souffrance. Son esprit demeurait parfaitement lucide. Croyant
inébranlable, il se surprit à penser qu'il aurait pactisé avec le
Diable pour inverser les rôles. Il se remémorait ce télégramme,
reçu lors d'une escale à Melbourne alors qu'ils faisaient déjà
route vers l'Antarctique, lui faisant part des intentions de ses
rivaux d'entrer dans la course. Un coup en traître. Et cette lettre
pleine de condescendance laissée au pôle, tant de fois il l'avait
relue depuis ce 16 janvier 1912.
Le
Norvégien, froid, implacable, calculateur, sans scrupules. Est-ce
donc cet homme qui deviendra un héros ? Il ne croit même pas en toi
Seigneur ! Lui, aurait abandonné ses compagnons affaiblis pour
maintenir le pas. Maudite tempête, j'aurais dû connaître la gloire
en ramenant mes hommes. Combien de temps s'écoula pendant qu'il
ressassait tout cela ? Il versa une larme. Lui, aurait abandonné ses
compagnons affaiblis… Ses compagnons affaiblis auraient mis fin à
leurs jours avant de ralentir le pas, et lui aussi.
Seul
dans son sac de couchage, dans sa tente, Scott comprit qu'il avait
basé son expédition entière sur des choix hasardeux. L'emplacement
du camp de base, ce dépôt de vivres prévu plus au sud,
l'équipement, son refus d'utiliser les chiens… Et les hommes,
inévitablement. Il voulait être un héros, son obstination l'avait
perdu.
À
présent son corps tout entier était raide, il ne frissonnait plus.
Sa conscience l'abandonnait. Son système respiratoire cesserait
bientôt de fonctionner entraînant l'arrêt cardiaque. Mais cela il
n'aurait pas à l'endurer. Il était temps d'aller prendre place
auprès du Seigneur tout puissant. Mais il ne pria pas. Il pensait
toujours au Norvégien, au fossé qui les séparait. Il l'admirait,
le Norvégien, Roald Amundsen.
Nouvelle de François Cucchi
Les images présentent :
- L'expédition Scott,
- Robert Falcon Scott avec son journal.
Nouvelle de François Cucchi
Les images présentent :
- L'expédition Scott,
- Robert Falcon Scott avec son journal.
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