mardi 31 décembre 2019

Les sables du désert, de Yassi Nasseri


Je m'étais assis sur cette même dune hier. Mais ce n'était pas la même dune bien-sûr. Puisque les dunes sont vivantes, puisqu'elles se déplacent, puisqu'elles laissent le vent les envelopper et les transporter le jour, la nuit. Je regarde devant moi et vois à perte de vue l'éclat du soleil brûlant, le doré du sable, le scintillement de ces résidus millénaires, autrefois coquillages de la mer, aujourd'hui faisant corps avec ce rien qui couvre tout. Un grain de poussière, non mille et mille milliards de milliards de grains de sable. C'est léger. Ça s'envole. Oui, peut-être mais celui qui se laisse engloutir ne survit pas au poids des siècles et des millénaires de cette dorure poudreuse.
Assis sur ma dune, je regardais la chaleur. Je regardais la douceur. Et j'écoutais. Le silence raconte une histoire qui nous vient de loin, portée dans les bras du vent, amplifiée au creux de la tornade. Les chameaux le savent. Eux seuls savent reconnaître infailliblement un lieu précis, au cœur de cette immensité. Parce qu’un jour un de leurs congénères est tombé là, et ne s'est plus relevé. Le froid de la nuit, l'effroyable densité des températures excessives le jour, ont cristallisé l'histoire de ce chameau tombé là. Alors les autres chameaux qui passent par cet endroit reconnaissent la tombe invisible. Le silence leur dit, ici, ici tu peux poser le genou au sol et ne plus te relever. Pour y voir clair dans le désert il suffit d'écouter, et alors on entend tout.
Pendant que l'homme s'enfonçait dans ses pensées une femme arriva. Elle s'arrêta pour le regarder, de loin.
Il se tenait là, accroupi. Était-il en train de prier ? Faisait-il le deuil de tout ce qu'il allait laisser derrière lui ? De loin on ne discernait qu'un petit point blanc au milieu de cette immensité. Les dunes étaient en train de se mouvoir lentement, pour changer de forme, se déplacer, avec le vent qui s'annonçait. Le grand départ. Demain.
Alors la femme s'approcha de lui. Lentement. Elle attendait depuis ce matin, qu'il lève la tête, donne un signe quelconque. Mais non. Il lui laissait le choix. Elle s'accroupit tout près de lui. Suffisamment pour qu'il entende son souffle. Et il comprit. Elle lui disait, demain, je viendrai avec toi. Nous irons le chercher ensemble. Après tout, c'était notre fils.

Nouvelle de Yassi Nasseri

Photographie de Sebastiao Salgado

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