Il se rend compte subitement qu'il est
perdu. Face à cet arbre devant lequel il s'était arrêté ce matin
déjà. Stupéfait par sa stature. L'arbre était immobile bien-sûr
mais il était habité, et il avait une façon de se tenir propre à
lui. Il eut le sentiment de le voir respirer, se mouvoir. Sa
chevelure tombante était sombre, son feuillage de ce vert tendre du
printemps et son tronc était imposant. Cet arbre était une forêt à
lui seul. On eût dit qu'il tremblotait maintenant alors que ce matin
il chantonnait. Ses branchages souriaient tout à l'heure et les
voilà maintenant qui grinçaient des dents.
Depuis
plusieurs jours déjà il avait quitté le campement. Intuitivement
il s'était dirigé vers la forêt mais il avait bifurqué un peu
trop tôt à droite et il s'était retrouvé devant le lac. Cette
terre gorgée d'eau qui longeait l'étendue bleu
sombre avait failli lui tirer des larmes insensées. Mais il
savait qu'il lui fallait avancer pour atteindre la forêt. Il avait
marché. Les graminées, les joncs, les roseaux se transformaient en
monstres dans son esprit. Tant d'obstacles à franchir, tant
d'humidité, de franges de marais à traverser, à enjamber. Le
terrain glissant s'était insinué en lui au point de le faire
divaguer.
Il avait fui et n'avait nullement
l'intention de revenir en arrière. Il se dit, pour trouver du
courage, qu'il préférait mille fois ces joncs au joug du vilain
vieux Pat. Pat l'avait recueilli enfant, peut-être, mais le garçon
estimait qu'il avait payé son dû, qu'il avait enduré plus qu'il
n'était permis d'endurer. Non il ne retournerait pas là-bas. Et
alors qu'un instant avant tout n'était que fougères aquatiques
s’agrippant à ses chaussures trempées soudain il vit une fleur.
Elle sortait la tête de l'eau, de cette vase insalubre était née
la beauté même... un nénuphar sûrement. On lui en avait parlé
mais il n'en avait jamais croisé sur son chemin. Le troisième jour
alors qu'il allait bientôt être à court de provisions il était
enfin entré dans la forêt. Mais depuis la veille il tournait en
rond. La forêt commençait à avoir raison de lui maintenant. Il
regarda de nouveau l'arbre. Il fit un pas et leva la tête.
Arbre,
que me veux-tu ? Pourquoi me faire revenir à tes pieds, encore
et encore ? Je t'ai vu hier déjà, trois fois, quatre fois,
mais je n'ai pas voulu te faire face. J'ai continué mon chemin en me
disant que des arbres comme toi on en trouvait à chaque recoin de
cette forêt.
Le
jeune garçon décide de s'asseoir. Ses cheveux se mettent à danser,
de ce même souffle qui animait l'arbre ce matin. Il se dit qu'il a
déjà senti ce souffle dans sa vie, entendu cette chanson, dans un
songe ou il y a très très longtemps. Il voit une image. Des yeux
amande qui le regardent, qui s'amusent en lui sifflotant un air doux,
aimable, aimant.
Et
l'arbre le lui dit alors. Oui, tu as eu une mère, elle ne t'a pas
abandonné. Elle t'a confié à moi. Ton chemin a commencé ici.
Aujourd'hui tu cherches une nouvelle vie... Je te montrerai le
chemin.
Était-il
devenu fou ? Dans quel univers se trouvait-il ? Il se leva,
fit le tour de l'arbre, regarda ce sol humide, d'un jade fluorescent.
Il était perdu, il avait atterri dans un paysage qui le connaissait,
le reconnaissait, qui le reflétait peut-être.
Il
avait toujours pensé qu'il était différent. Avant de plonger dans
la rivière, il attendait qu'elle acquiesce. Avant de grimper au
sommet du canyon il passait la nuit entière à supplier son invite.
Personne ne le savait mais ce n'est pas Pat qui l'avait élevé,
c'était cette terre qui lui avait tout appris.
Tu
es l'arbre-mère, n'est-ce pas ?
Oui
Tu connais mon chemin mieux que je ne
le soupçonnerai jamais ?
Oui
Guide-moi, mère, mon arbre-mère.
Alors
pour la première fois il se tint droit, lui qui était toujours
voûté, comme un ancêtre. Sa colonne vertébrale devint souple,
solide comme le tronc face à lui. Ses bras, ses épaules, ses
talons, ses hanches, ses cuisses se trouvèrent revigorés. Une
nouvelle stature l'avait gagné. Il regarda encore l'arbre. Et cette
fois il accepta le sourire que l'arbre lui offrait.
Sifflotant il s'éloigna de l'arbre.
Il n'était plus perdu. Il savait son chemin. Il savait son passé,
il entrevoyait tous ces moments prometteurs qui l'attendaient. À lui
de savoir mettre en pratique l'enseignement qui venait de lui être
transmis.
Nouvelle de Yassi Nasseri
Photographie de Beth Moon
Nouvelle de Yassi Nasseri
Photographie de Beth Moon
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire