Une Guiness. Encore une.
Pour avaler la mort, celle de deux gosses cette fois.
Dolores O’ Riordan ne
voyait plus personne, plus rien dans ce Pub enfumé de Londres où
pourtant tous, et elle en tête, brassaient la fête quasi tous les
soirs depuis une semaine en musique grunge ou rock.
Mais les habitués eux
aussi sous le choc, l’observaient, et le tableau de cette fille,
regard vide, épaules basses et mains ouvertes en même temps que
mortes, en rajoutait à la terrible nouvelle que la télé hurlait
derrière le comptoir.
Au centre commercial de
Warrington, à deux pas, pour le premier jour du printemps, des
bombes avaient encore frappé, celles de l’Armée Irlandaise
Républicaine provisoire cette fois, tuant notamment deux innocents
de 12 et 3 ans, Jonathan Ball et Tim Parry.
Son vertige emportait la
jeune chanteuse hébétée et ni l’alcool ni sa foi chrétienne ne
pouvaient l’apaiser dans ce moment. Sa tête ne lui martelait
qu’Attentat pour Attentat, et plus rien n’avait de sens ni de
fin.
Chez elle à Limerick
pendant les repas de famille, on débattait passionnément et souvent
de peine de mort pour tout poseur de bombes… Seule Erin, l’amie
de toujours, ébranlait parfois Dolores dans ses convictions, avec
ses idées de féministe, au sujet de l’avortement notamment, elle
qui avait dû s’exiler en France parce qu’elle se trouvait trop
jeune pour être mère. Cette histoire avait bien failli causer la
fin de leur amitié d’ailleurs parce que pour la catholique
Dolores, la vie était sacrée, « au dessus de tout !»,
criait-elle. Heureusement Erin savait toujours trouver les mots pour
la faire redescendre et les pires colères pouvaient basculer de
plaisanteries en fous rires avec autant de fougue
« Oh keep cool
oh ! avec ce nom là, « Dolores » : Tu te
chales toutes les douleurs du pays à toi toute seule! »
Mais aujourd’hui,
aucune discussion n’avait lieu d’être, deux enfants nés pour
vivre, étaient tombés et ne débattraient plus de rien, jamais.
Sa dernière bière
engloutie elle sortit soudain de son asphyxie. Et elle la vomirait
comme la montée sans fin de la violence.
Se levant brusquement
elle tituba, bousculant table, chaise et serveur sur son passage.
Elle était partie sans manteau ni sac, mains en avant, nausée en
poitrine.
Reconstruire. Dénoncer
les tueurs, aussi bien vendeurs d’armes que menteurs politiques… tous des zombies. Eux par qui tous les civils, vivants ou
s’arrêtant de vivre, sous les flingues et les bombes devenaient…
des zombies.
Transpirante de larmes et
trempée par la pluie, ses yeux fous ruisselaient d’idées folles
mais ses pas décidés la portaient.
Écrire. Même pétrie
de doutes et sans toutes les clés, un chant pour ces enfants, contre
l’assassinat, qui briguerait la vie, furieusement. Elle ne
prendrait pas d’armes parce qu’il fallait un chant, renaître de
ces cendres.
La pluie qui redoublait
dehors accélérait encore sa détermination. Flics et barrages
évités, elle courait maintenant dans le même sens que la rivière,
le long de River Road, ignorant flaques de boue et tâches de sang
pour remonter jusqu’à Fountain’s Hotel dont la façade idiote
narguait toujours les passants avec ses joyeux angelots.
Bien qu’elle grimpât
quatre à quatre les marches pour atteindre sa chambre, c’est là
qu’elle retrouva son souffle et sut, que sa chanson, était prête :
« Zombies », elle en avait le titre, enragée et coûte
que coûte désarmée.
Nouvelle de Edwige Biancarelli
Peinture murale, Belfast
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