dimanche 19 janvier 2020

Wendigo, di Suffia Marruchi


Sta mane quì, Obequa fù discitata da a so surella per andà à piscà. U lavu era ideale à st’ora è a piroga l’aspittava. Trà pocu, a barcella zuccata, chì li ghjuvava abitualmente à piglià u risu salvaticu, si ne steria arrimbata à a sponda. L’invernu s’era calatu nant’à u paese. Si sentia in l’aria chì a neva avia da ricopre, ben prestu, u paisaghju. L’animali s’eranu digià piatti. A caccia principiava à esse dura. E feste di u solstiziu eranu passate è omu si priparava à affruntà e grande freddure. A tribù sana s’affrettava malgradu i timori.
È hè ciò chì si vidia in u mentre chì a piroga s’alluntanava di a sponda. I tippì di scorza. I totemi chì marcavanu i limiti di u territoriu. U fumu di u focu incesu da l’anziane, da pudè scucinà e razione. E giovane squaw chì suvitavanu à tesse è cosge u coghju animale, da cunfezziunà vestuti invernali. Certi cacciadori chì priparavanu e racchette da neva, mentre chè d’altri eranu à giru per verificà se a notte era stata favurevule à e so trappule.
A vita cuntinuava, a ghjente s’occupava di e faccende malgradu l’ora matinale. Malgradu u pesu di st’imbuscu vitale. Malgradu a misteriosa sparizione di Bly.
Bly era giovanu ma à bastanza saviu da esse statu sceltu da l’anziani di a tribù per diventanne u capu. Ma sopratuttu, era u so prumessu. Quellu ch’ell’avia sceltu pè l’unione sacra à u prossimu veranu. Oramai facia parechje simane ch’ellu mancava. Era svanitu senza lascià nisuna traccia.
Dopu à notte d’incubi è di frebba, Bly avia pruvatu un’ultima soluzione: u casarellu di sudazione. A seenza era nurmalamente cullettiva ma, cù a cumplicità di u maestru di cerimonia, avia pussutu falla à l’insaputa di tutti è senza cumpagnia. Avianu invucatu l’uttarda è u caribù. È malgradu u rituale, i canti è e goccie di sudore chì perlavanu nant’à a so pella per scunghjurà u male, nunda li parse scambiatu in ellu.
Bly era un guerrieru di a nova generazione è ùn cridia à tutte e fole algunchigne. Nè mancu u so fratellu maiò. Li avia sempre dettu, quantu certe storie eranu sopratuttu una scusa per ghjustificà l’errori è l’azzione impure di l’omi. Sopratuttu in periodi di carestia. S’inventavanu fole magiche quandu u sacrifiziu di i più debbuli era necessariu à a sopravvivenza di a cumunità, ma chì nimu assumia a respunsabilità di st’atti. Era listessu per tuttu ciò ch’ùn si capia. Cusì nascianu e leggende. U giovanu ojibwe sapia tuttu què ma era trafariatu è a so decisione era pigliata.
S’ellu era malatu, cuntamineria a so cumunità. S’ellu era maladettu, infine, purteria a disgrazia à i soi. Era megliu, dunque, à alluntanà u periculu.
A mane di a so partenza, s’aisò, priparò u so saccone, misse a so cinta di baioncule è fighjulò u so paese. E casette cuperte di curteccia di violu appiccicate, era u solu mondu ch’ellu cunniscia. Stu locu tracunnisciutu è famigliare li averebbe mancatu. Pocu premia induve andava.
U so sguardu si piantò un istante nant’à a mikiwan di a so prumessa. Quantu volte, di notte, l’avia visitata. À l’ascosu di certi è sottu à a cumplicità amabile di l’altri. Sta capanna era stata muntata per agruttà u so spusaliziu. Ma, malgradu l’impegnu sulenne, malgradu a brama d’un’ultima carezza, Bly ùn ebbi u curaghju d’andà à dì addiu. Sapia chì a so amata l’averebbe ritenutu. Forse ancu cunvintu di stà.
Si vultò, capighjimbu, è sprufundò in a furesta.

mercredi 15 janvier 2020

Ils sont partis jeunes dans le matin, d'Edwige Biancarelli


Ils sont partis jeunes dans le petit matin, lancés sur le chemin, le seul qui mène de chez eux à la colline, clairsemée comme un dessin d’enfant. Un ciel vaste où la lune n’a pas encore quitté le soleil tout frais.
Le ciel entier dans leur poche.
La vallée pour eux seuls, ils sourient au couple de milans qui les rejoint bientôt, à vrai dire dès qu’ils commencent à grimper sur le coteau car ces rapaces ne craignent pas la basse altitude. Ils planent lentement au dessus de tout et pour se relancer, donnent de temps en temps un léger battement d’ailes, donnant à voir leur longue queue en forme de triangle, l’équilibre parfait. Sachant leur nid toujours proche, construit sur un olivier isolé dans toute sa superbe, ils peuvent ondoyer amoureusement en toute sérénité. Quand ils virevoltent à l’opposé c’est pour mieux se rejoindre et ils se posent seulement quand ça leur chante, une fois qu’ils ont joué à pousser leur cri aigu. Eux pendant ce temps continuent de grimper, ils ne sont pas chargés, c’est juste un tour d’une demi- journée. Lui s’arrête souvent car il ne marche pas aussi souvent qu’il le souhaiterait, son corps le lui rappelle. Il en profite pour examiner les endroits remués, vérifier la couleur des nuages des montagnes alentour, craignant toujours un orage déloyal… Il la regarde maintenant courir et rire, imitant leurs milans et ouvrant grand ses bras pour retrouver leur plané. Elle a tournoyé sur place et crié - Je fais très bien la corneille, écoute ! Elle se pose enfin, sur une pierre, pour elle une parmi d’autres, juste bien plate et assez large pour l’accueillir. Elle la sent douce et pourtant très froide alors elle rêve, maintenant lascive, d’un câlin pour la réchauffer. - Une pierre de couverture lui rappelle-t-il, pour tenir ces murets de pierres sèches, que son propre grand père a construit il y a bien longtemps, même s’il doit préciser que oui, tout au long de ce sentier, le muret a maintenant quasi disparu, de même que la maison là, en contrebas qu’il rêvait de restaurer un jour.
- Quelles ruines émouvantes, non ? ose-t- elle, mais c’est encore une maison lui répond-il, qui perpétue la mémoire de ceux qui ne sont plus, les énormes lentisques qui l’entourent en témoignent, et le four derrière le chêne vert pourrait encore fonctionner.
Ils se remettent silencieusement en route, il leur en reste peu à suivre pour atteindre le sommet de la colline. De là on peut embrasser une vue simple et grandiose : les côtes boisées, marient tous les verts possibles, pénétrés de lumières diffuses, vives ou argentées selon l’intensité du soleil et puis à leurs pieds, la grande oliveraie de la plaine. Tout en haut il y a un chêne liège démasclé et bien tordu, des enfants ont l’air d’y avoir commencé une cabane et de quoi s’asseoir. - C’est un poste ! lui rappelle-t-il, en riant parce qu’elle ne retient jamais ses histoires. Et de lui montrer pour la énième fois la battue possible à cet endroit : de là où ils se tiennent, dans le propre, on repère parfaitement le sanglier quand il sort du maquis, et tout près d’eux encore, il lui montre la trace des doigts d’un marcassin en y posant avec émotion ses propres doigts repliés. Mais déjà elle n’écoute plus ou plutôt elle boit ses paroles, fière de ses connaissances, séduite parce qu’il détient aussi bien les innombrables anecdotes des prouesses familiales que le savoir-faire du dépeçage de la bête jusqu’aux meilleurs secrets de cuisine... Elle voit surtout son regard profond qui la traverse, et que le soleil éblouissant l’oblige à plisser. Elle savoure le mouvement de ses mains qu’elle voudrait contre sa peau, et écoute son timbre de voix qui couvre les cigales maintenant bien réveillées.
La lumière de midi est si rayonnante qu’ils s’installent là pour un moment à savourer, ensemble pensent-ils, les parfums entêtants du thym qui cognent aux tempes. Assommés de leur montée, ils vont écouter les musiques du vent, pénétrés de fragrances indescriptibles, un mélange d’enfantin lavandin et d’amer romarin.

mercredi 8 janvier 2020

Les Nuits Rouges, de Dominique Leoni


Streya sentait les fers rentrer toujours plus profondément dans la chair de ses poignets. Les deux chaînes qui la reliaient au mur humide de sa cellule étaient assez longues pour lui permettre de se lever et faire quelques pas dans la minuscule pièce, mais il lui était impossible de s’approcher des barreaux de l’entrée. Assise sur la paillasse qui lui servait de lit, Streya regardait vaguement le petit feu qui brûlait à même le sol, tout près d’elle, et qu’elle ne laissait jamais s’éteindre. Elle ressemblait à une poupée cassée, à moitié nue, qu’on aurait jeté dans une pièce obscure. A moitié nue et sale. Si sale que sa peau semblait couverte de boue et le blond autrefois éclatant de ses cheveux éteint par la crasse engluée dans ses longues mèches. Pourtant, au milieu de cet enfer, Streya était belle. Plus belle encore que dans son ancienne vie de femme libre sur Terre. Comme si dans ce dénuement et cette indigence, son corps s’offrait tout entier aux regards et n’avait plus rien à cacher. Elle n’était plus cette belle femme aux traits lisses mais une créature à la sensualité brute et primitive. Comme toutes les esclaves, elle portait de nombreux bijoux en or qu’elle ne devait jamais quitter. Un diadème découpé en accroche-cœurs était enfoncé sur le sommet de son crâne et un large collier sculpté lui enserrait le cou. Chacun de ses seins était prisonnier d’une coque en or reliée à l’autre par une fine chaîne et de larges bracelets martelés étreignaient ses chevilles. Sous la lumière du feu, l’éclat de l’or rallumait sa peau éteinte, et son corps tout entier semblait ainsi irradier dans la noirceur de sa cellule.
De temps en temps, elle levait les yeux vers l’étroite ouverture taillée dans la pierre, tout en haut du mur. Cela faisait maintenant des mois, peut-être plus, que le jour ne se levait plus et la seule chose qu’elle apercevait était le noir absolu de la nuit martienne qui avait englouti toute notion de temps. Au dehors, le vent hurlait continuellement et la poussière rouge s’engouffrait dans la pièce, venant mourir en paillettes incandescentes au-dessus du feu.
Souvent, Streya essayait d’écouter les bruits et les voix qui lui parvenaient du couloir qui la séparait des autres femmes esclaves. Derrière ces barreaux d’acier, elle espérait toujours voir vaciller la lumière d’une torche qui annoncerait la visite de son bourreau. Depuis quand Skardhan n’était pas venu ? Sûrement depuis plusieurs lunes déjà.
A la lumière des flammes, elle pouvait voir les cicatrices sur sa peau. Certaines encore rouges, d’autres presque blanches. Son ventre portait les stries courtes et profondes que Skardhan aimait tracer avec la pointe de son glaive. Des marques de brûlures formaient des petites taches sombres sur ses cuisses et ses avant-bras. Mais la seule douleur que ces stigmates ravivaient était celle de l’absence de Skardhan. Au début de sa captivité, peu de temps après qu’elle fût capturée sur Terre avec toutes les autres, sa seule présence suffisait à la mettre dans un état de terreur indicible. Elle ne savait jamais quand il viendrait. Elle ne savait jamais quel supplice il inventerait cette fois. Puis, petit à petit, la peur laissa place à un autre sentiment qu’elle n’arrivait pas à définir. Car Skardhan ne lui faisait pas que du mal. Certaines fois même, elle ne voulait plus qu’il parte. Elle aimait se sentir si fragile et si petite au-dessous de ce géant colossal. Elle aimait le voir sourire en comprenant qu’elle n’avait plus peur. Maintenant, apprivoisée et domptée, elle détestait le voir rattacher sa cape et remettre le casque d’acier aux pointes acérées qu’il posait toujours au sol avant de s’occuper d’elle.
Comme elle repensait encore à ces moments avec lui, elle entendit un cliquetis métallique dans le couloir menant aux cellules. Elle sentit son cœur tressaillir dans sa poitrine. Elle tendit l’oreille. Un bruit de clefs, oui ! Puis une voix. Celle qu’elle reconnaîtrait entre toutes. Il était là, enfin. Elle vit le halo d’une torche puis l’ombre gigantesque de son bourreau se dessiner sur le mur en face de sa cellule. Skardhan apparût. Ses longs cheveux tombaient sur ses épaules immenses et son torse impressionnant émergeait entre les pans de sa cape. Il ouvrit la porte de la cellule et vint s’asseoir à côté d’elle.
Streya pouvait maintenant oublier. Oublier ses fers, oublier le froid, oublier cette nuit qui n’en finissait pas. Oublier jusqu’à son existence dérisoire d’esclave déportée sur Mars, comme une brève étincelle dans l’infini de cette galaxie.

Nouvelle de Dominique Leoni

Peinture "Swords of Mars" de Frank Frazetti

mardi 7 janvier 2020

À la vie à l'art, de Sarah Le Berre Albertini



La maison est étroite et sombre, le plafond est bas. L’atelier se trouve à l’étage où les apprentis travaillent dans un silence monacal, éclairés par une douce lumière émanant de fenêtres à petits carreaux. L’odeur de térébenthine est enivrante, écœurante. Les couleurs écrasées sur les toiles contrastent avec la décoration rudimentaire de l’atelier du peintre Hals. Sur une étagère, des livres, un bougeoir, un crâne de chèvre. Le peintre à la carrure imposante se lève brusquement de son chevalet et traverse l’atelier en faisant grincer le parquet et en tapotant son appuie-main avec nervosité. Les jeunes apprentis se raidissent sous le feu de son regard. Le plus jeune d’entre eux prépare les couleurs, il broie depuis des heures et sa molette colle à la plaque de marbre. Elle devient de plus en plus résistante pour mélanger la poudre de pigment à l’huile de lin. C’est le moment de vérifier, à l’aide de son couteau, il rassemble la matière et l’écrase avec adresse, il est prêt : le noir. Maître Hals le veut intense comme la nuit, pour cela il y ajoute du bleu outremer. Avec une touche de blanc de plomb, sur sa palette, le maître en fait un gris bleuté dont il se sert pour imiter l’effet que produit la lumière sur les vêtements.
Ses confrères de la Sint-Lucasgilde vont venir contrôler les nouvelles toiles du maître Hals, avant la foire annuelle. Le peintre est agité, il sait ce que veulent les mécènes : des commandes de portraits glorifiants et bien léchés, de riches étoffes, des cols en dentelle, des fonds sombres et austères ou de beaux paysages en arrière-plan. Mais pour lui, ce ne sont que des compositions lisses qui n’ont d’autres intérêts que de lui permettre de payer ses dettes. Dans le fond de l’atelier ce sont d’autres projets qui l’animent.
Ils sont là. La petite porte du rez-de-chaussée a été ouverte et le courant d’air froid s’est engouffré jusqu’à l’étage. Les maîtres de la guilde montent l’escalier et Hals les rejoint. Après avoir échangé quelques politesses, il les conduit au fond de la pièce où sont entreposées les toiles, en cours de séchage. Les maîtres n’y accordent qu’un bref intérêt avant de se tourner face au tableau en cours d’exécution. Sur le chevalet, une ébauche : les mains, les visages, les tissus, rien ne semble terminé. Tout semble brossé dans l’urgence, mais l’œuvre est saisissante de vie. Ce tableau est un scandale, une perte de temps et d’argent, mais il est réussi. C’est un grand format représentant un bouffon rieur et tout autour de lui des enfants semblant s’agiter comme des mouches. Les maîtres le savent, le rire est ce qu’il y a de plus difficile à reproduire. Rares sont ceux à s’être risqué à cet exercice. En peinture le rire devient une grimace déformante, le rire semble figé, le rire est rarement convaincant. Pourtant cette fois, le maître a réussi à le saisir et cela ne semble possible que par une grande spontanéité de son geste : de larges touches vermillon ont fait naître en quelques coups de pinceau des bouches édentées et des pommettes saillantes. C’est une démonstration magistrale. L’amuseur public au chapeau décoré d’une queue de renard ne nous lâche pas du regard, nous ne pouvons pas y échapper. Les enfants veulent tous s’engouffrer dans le cadre et se pressent autour de lui. Le plus grand d’entre eux est aussi le plus espiègle, il plonge sa main vers nous, comme une invitation à la folie. La petite fille au bonnet blanc, rit avec nous et son regard a pour mission de nous inclure définitivement dans la fête.
Le maître travailla inlassablement, pour matérialiser le réel.
Regardez ; Nous sommes vivants.
Écoutez ; Les rires des enfants et le rythme du rommelpot.

Nouvelle de Sarah Le Berre Albertini
Peinture "Le Joueur de rommelpot" de Frans Hals


lundi 6 janvier 2020

A tarra lavata, di Francescu Cucchi


(Pudaretiascultà sta nuvella letta da Marcu Biancarelli appughjendu quì)

Antonu era sempri statu solu, u so babbu era mortu quand'idd'era ziteddu è era statu incù a so mamma finch'idda si ni murissi qualchì tempu nanzi. Ùn hè ch'iddu ùn si pudia sbruglià da par iddu ma ùn avia mai avutu l'uppurtunità è po’ ùn vulia micca lacà a so vechja mamma.

A so piazza in a sucità ùn l'avia mai trova, l'altri ùn l'intarissaiani micca. Amici ùn n’avia ma supratuttu ùn ni vulia.
Stu cuncorsu di quiddu chì n'avaria di più ùn lu pudia capì. A ghjenti passaia accantu à a so vita, prighjuneri di stu ghjocu senza fini dund'erani mariunetti mai suddisfatti. U peghju era pà l'alizzioni, tandu vidia stu picculu mondu mova si da tutti i parti, pariani furmiculi, à quidda diffarenza chì i furmiculi travaddani pà a cummunità. Iddu si ni ridia.
Ùn s'era mai innamuratu da nimu, era un bel omu è i donni à circallu erani stati numarosi. Qualchì avventura l'avia avuta ma mai di più.

Sett'anni dighjà.
Un ghjornu vultendu in paesu, dopu à essa partitu qualchì ghjornu solu in muntagna, fù stunatu d'ùn senta à nimu. Si ni cuddeti in piazza è truveti una vechja in tarra, morta. Feci u ghjiru di u paesu, u caffè, i casi, tutti morti. Chjameti i succorsi, ùn risposi nimu. Tandu era spavintatu.
Si ni faleti in furia in cità incù u so vechju scatorchju. Annantu à a strada ùn incruciaia à nimu, i so pinseri crisciani. È po’ una vittura ferma, dui catavari in drintu.
In cità dinò, erani tutti morti. Si ni vulteti in casa, a radiò, a televisiò, ùn c'era più nudda. Ma chì si passaia ? Duvintaia scemu.

Si disciteti in u so lettu, erani passati i ghjorni. Ritruveti a raghjoni, di sicuru c'era statu qualchì malatia ch'avia tumbu à tutti è iddu paria d’essa statu immunizatu.
Sapia ch'ùn staria tantu à prufità di l'acqua è di u lumu.
È cusì si presi un gruppu elettroghjenu, si tireti un brancamentu d'acqua da a cisterna di u paesu à a so casa. Era statu manescu à assicurassi i so cundizioni di vita.

È tandu avia iniziatu à campà cusì. Avia bisognu di pochi cosi è à dì a verità ùn li mancaia à nimu. Si pudia dì ch'idd'era filici.
Ben ch'iddu ùn era intrutu in ghjesia da ziteddu, l'idea ch'iddu saria statu u Signori à avè fattu spariscia l'umanità pà puliscia a Tarra li piacia.
Ma s'iddu c'hè un Diu è ch'idd'aspetta à mè pà salvà l'umanità…
Ùn avia mai circatu altri parsoni. Certi volti si dumandaia s'iddu ùn era mortu è s'iddu ùn era micca quissa u so paradisu.

In stu mesi d'uttrovi, cumminciaia dighjà u fritu.
T'aviani a raghjoni sti conni d'eculugisti!
Ogni annu a nivi ghjunghjia più prestu annantu à i cimi. Di sicuru, senza attività umana l'ambienti s'era rinfrischitu.
Da quì à pocu saria tempu di raccoglia i castagni. Presi u so rasteddu è si n'andeti à puliscia suttu à l'arburi. Quantu li piaciani i castagni arrustiti, stu prufumu quand'erani liccati da u focu è ch'iddu i facia baddà in u so caldarostu.
T'avia u so ortu, andaghjia à caccia è li bastaia. A si gudia a so vita.
Ugni tantu ci vulia à falà in cità à piddà a robba. Era sempri unu spittaculu stranu. U so paesu in a so muntagna ùn era cambiatu tantu ch'erani pochi à stà ci tuttu l'annu. Ma a cità, s'era ferma cusì, in piena vita, d'un colpu. I vitturi annantu à i stradoni, i cummerci aparti. È avali sparia pianu pianu, a Natura ripiddendu i so lochi.
Avia passatu ghjorni sani à caminà in i carrughji bioti, à u principiu aspittaia sempri di truvà à qualchissia, ma avia po’ capitu ch'idd'era solu.
U silenziu di a cità li pisaia, quidda bestia morta chì si mirzaia è iddu com'è sti varmi in i carrimasci.

dimanche 5 janvier 2020

Velázquez, de Jean-Michel Neri

Il n’avait pu s’esquiver cette fois. Pas sans risquer de révéler son insensibilité quasi pathologique à l’expression picturale. Il redoutait ce moment depuis le premier jour de leur rencontre, depuis qu’il avait réussi à emballer cette fille incroyablement belle et qu’elle lui avait dit avec une certaine fierté être étudiante en histoire de l’art. Étouffant la bouffée d’angoisse que lui inspirait cette révélation, il avait lancé d’un air convaincu: génial, j’adore. De ce jour, il attendait de se voir confondu – ce qui, selon lui, était le destin de tout escroc amateur – et de recevoir de plein fouet l’immense déception de celle auprès de qui il aurait aimé passer les mois, voire les années suivantes. Il était persuadé qu’elle ne supporterait pas cette double forfaiture de sa part, celle de n’adhérer que trop mollement à la passion de sa vie, et de lui avoir menti sur un sujet aussi crucial. C’est donc la mort dans l’âme et la trouille au ventre qu’il avait fini par accepter cette énième sollicitation de son amoureuse à l’accompagner au Musée des Beaux-Arts, car bien qu’ayant toujours vécu à Budapest il n’y avait plus remis les pieds depuis une visite forcée en classe de sixième, et il aurait largement préféré profiter du beau temps pour déambuler avec elle sur les berges du Danube.

En franchissant les épaisses colonnes qui dominaient le parvis du musée, elle agrippa son bras et lui glissa à l’oreille qu’elle allait lui présenter celui qui avait inspiré sa vocation artistique. Il déglutit douloureusement.
Il traversa les premières salles comme un automate, étourdi par la profusion des œuvres exposées, se laissant mollement entraîner vers la rencontre inéluctable. Il eut, en cet instant précis, la détestable impression de rendre une première visite à un futur beau-père. Il s’attendait à être jaugé, mais surtout redoutait son propre jugement à l’égard de l’ancêtre dont il convoitait la fille chérie. Et s’il ne l’aimait pas ? Pire ! S’il n’en pensait rien.
Elle s’arrêta soudain. D’une secousse au bras, elle le tira de l’apparente torpeur où l’avait plongé ses spéculations familiales. Son charmant sourire reflétait une confiance sans bornes.
La toile avait la taille d’une petite fenêtre.
Avec une pointe d’emphase, elle fit les présentations. Diego Velázquez, le Déjeuner de paysans. Il regarda le tableau pour lequel il espérait encore, de toutes ses forces, ressentir une ferveur spontanée.
La scène était d’une banalité affligeante. Trois personnages, des paysans donc, semblaient saisis en plein repas. Dinette aurait été plus juste, tant la table était chiche. Il n’y croyait pas une seconde. La nappe était trop blanche, leur mise bien trop soignée, et même la salière – ou ce qu’il prit pour telle – était somptueuse et semblait déplacée dans l’habitat rustique suggéré par le titre. Aucune émotion esthétique n’étant venue l’étreindre, il en voulut au peintre, de plus, d’une telle insipidité dans le choix de son thème qu’il bafouait encore par si peu de rigueur anthropologique. Une scène héroïque, au moins spectaculaire, aurait fait son affaire, il se serait concentré sur le côté épique qu’il aurait tenté d’exalter, s’appuyant sur l’Histoire ou la mythologie pour feindre un intérêt, mais là… la sobre réunion de ces trois bougres ne lui inspirait rien de rien.

samedi 4 janvier 2020

Les membres de leur communauté, de Yassi Nasseri


Il avait fini par accepter d'aller à l'école comme tous les autres enfants. Dans son cœur il savait bien qu'il préférait continuer sa vie tel quel, caché, en dehors du monde. Il n'avait pas sa place parmi les autres. Personne n'était comme lui. Et lui-même ne savait pas bien où se ranger. Qu'était-il ? Son père lui avait donné corps, lui avait donné vie. Son père l'aimait. Et à ses yeux cela suffisait pour qu'il se considère comme un petit garçon, semblable à tous les autres petits garçons, de son âge. Mais la question de l'âge ne s'appliquait pas à lui. Et puis il ne pourrait jamais s'exprimer comme eux, comme les autres, ces autres enfants qui seraient dans la même classe que lui. Par exemple, s'il lui prenait de formuler une phrase en disant « dans mon cœur je sais bien que... » tous le regarderaient avec des yeux tout ronds. Ils auraient raison. Mais la raison a tort, mon petit, n'oublie jamais ce que je te dis là. D'accord la raison a tort. Il ira à l'école. Parce qu'il fallait qu'il s'instruise, et qu'il apprenne à vivre au sein d'un groupe.

Il avait souffert, il avait été humilié, il avait avalé tant de couleuvres. Mais il y avait eu aujourd'hui. La maîtresse les avait emmenés à la nuit des musées. C'était une nuit des musées virtuelle. Dans une salle de spectacle on leur avait projeté des images. On leur avait raconté des histoires. On les avait initiés à la peinture, à l'histoire de l'art et on les avait embarqués dans tant de villes, tant de musées où étaient exposés des tableaux. Des toiles de grands peintres leur avait-on dit. Très vite, instantanément il avait aimé les peintres. Car ils lui offraient un univers dans lequel il avait une place. Tout était permis sous le pinceau de ces grands hommes. Leur imagination était une réalité, subitement existante, alors qu'avant eux, personne ne savait. Et ce Dalí, on lui avait dit qu'il était un drôle de personnage, il l'avait aimé plus que tout autre. Ce Dalí, c'est tout comme s'il avait été son ami. Les petits garçons de sa classe étaient doubles, triples, multiples. Ils avaient un gentil en eux. Ils avaient un affreux méchant cruel en eux. Ils avaient de l'incertitude, du doute, et de l'absolutisme.Tous ces mots-là il les avait appris à l'école aussi. Dans le fond, il aimait bien l'école. C'était les autres qu'il n'aimait pas. Mais maintenant, il arriverait à les aimer. Grâce à Salvador, son ami Dalí.

Il avait tenté de raconter l'histoire à son chien le soir dans sa chambre. Tu vois, il y avait une belle trouée de ciel bleu dans ce tableau. C'était un très beau bleu. C'est par là qu'il fallait commencer. La vie était belle, le bonheur existant, et pour tous. Et puis ensuite il y avait un corps. Un corps constitué de petits bouts de corps. On comprenait très vite que la main qui tenait ce membre, ce même membre qui prenait appuyait – ou écrasait – l'autre membre, le premier, celui qui l'avait surélevé n'était pas un méchant. Même s'il avait une tête de joker. Un joker qui rit sous sa barbe, qui n'a pas de barbe pourtant mais il avait appris la formule à l'école. Et c'était précisément ce dont il s'agissait là. Le membre écrasé était posé en équilibre sur une armoire, soutenu par un pied. Et si l'on regardait bien on voyait d'autres membres. Tous membres d'un même tout. C'était lui. Le bébé frankenstein était cousu de pièces. De plein de pièces dissemblables. Je t'aime mon fils, comme le père de Pinocchio l'aimait. Tu comprends ? Oui. Aujourd'hui il avait compris. Son père aimait tous les membres déchus de leurs communauté. Tous ces hommes qui avaient été massacrés, il en avait prélevé un quelque chose pour constituer un être entier. C'était lui. Il était entier. Il était aimé. Alors il était Homme.

Nouvelle de Yassi Nasseri,
inspirée du tableau de Salvador Dalí "construction molle aux haricots bouillis (1936)"

vendredi 3 janvier 2020

Un matin, la fin, de Jean-Michel Neri

Il reconnaît l’endroit. Son père y posait des pièges et il l’avait accompagné deux ou trois fois pour les relever. Deux jours qu’il n’a rien mangé. La faim est la plus forte, en cet instant plus encore que la peur.
La ligne de trappe est là, toute proche, il est certain de pouvoir la retrouver. Il la remonte au jugé, furette d’un bosquet à l’autre, s’arrête, écoute la respiration de la forêt, guette avec angoisse le moindre craquement suspect, puis reprend sa maraude. Entre deux aubépines, un collet. Vide. Mais la ligne est bien là. Il la suit presque en courant, écartant nerveusement du pied les buissons et les leurres, suppliant intérieurement d’y trouver un piège garni. La rivière est devant, il sait que la ligne y finit. Dernière chance. Il se jette dans l’eau jusqu’à la taille, fouille à l’aveugle sous la berge. Il retient un cri, le pelage d’une loutre sous ses doigts. Fébrile, il la sort du carcan, la frappe sur un rocher pour l’achever. Puis il remonte dans l’herbe et lui cisaille rapidement le ventre avec son coutelas, jette les viscères, et mord avidement dans la chair crue. Il ne s’est pas permis pas d’allumer un feu par peur de les attirer. De toute façon il a trop faim. Le visage enfoui dans la carcasse tiède, il arrache des lambeaux qu’il avale presque entiers, le sang de l’animal lui dégouline du menton, il en a plein les mains. Jamais il n’aurait mangé comme cela avant ce jour, avant de se retrouver seul au monde et rempli de terreur.

Quand les bêtes ont attaqué son village, il avait encore une vie, celle d’un enfant de six ans parmi ceux de son clan. En quelques minutes, elle a été gommée sous ses yeux.
Un crépitement rageur a précédé le terrible mugissement de la meute qui les a submergés. Elle s’est déversée sur le village comme une avalanche, au son strident d’une fureur céleste. De longues griffes argentées ont brillé un instant dans le soleil du petit matin avant de s’abattre impitoyablement sur tous ceux qui se trouvaient devant elles. Elles fendaient l’air et les chairs sans que rien ne puisse les rassasier. Très vite, elles n’ont plus lui dans la lumière et ne faisaient jaillir que des étoiles de sang.
Sa petite sœur qu’il tenait par la main s’est effondrée d’un coup. Il l’a traînée jusque sous un buisson où il s’est aplati. Il n’a plus bougé. De sa cachette il voyait mieux les bêtes maintenant, elles semblaient se calmer, leurs longues griffes ne battaient plus l’air et des grognements satisfaits avaient remplacés leurs hurlements enragés. L’entêtante musique céleste s’était tue.
Il attendit longtemps. Jusqu’à être convaincu que ses parents ne viendraient plus le chercher, qu’ils gisaient parmi les autres dans le village en ruine, et que sa sœur ne bougerait plus jamais. Les bêtes avaient rentré leurs griffes. Alors seulement il se faufila hors de son abri et s’enfuit dans les bois.

Il jette loin dans l’eau la carcasse de la loutre, boit tout son saoul, et reprend son chemin. Il avance sans but, s’enfonçant toujours plus profondément sous le couvert des arbres. Il a pleuré longtemps. Le monde a basculé sans qu’il sache pourquoi. Son village n’est plus, tous ceux qu’il aime sont morts, tous ceux qu’il connaît sont morts. Les animaux, les arbres, sont pour lui les seuls êtres familiers encore en vie. Le moindre insecte est plus proche de lui que les monstres à deux jambes, bleues avec un trait jaune, qui chargèrent son village montés sur des chevaux pour livrer une guerre que personne ne leur avait déclarée. Et il ne sait qu’une chose, s’il veut survivre, il doit dorénavant se tenir loin du déferlement de leur meute.

Nouvelle de Jean-Michel Neri

Peinture "griffes bleues" de Marc Drouin

jeudi 2 janvier 2020

79°28'30'' S, de François Cucchi


Huit jours déjà que la tempête les avait immobilisés, ils n'avaient plus ni combustible ni nourriture. Wilson et Bowers ne pouvaient plus attendre le trépas, ils en avaient fini la veille en ingurgitant les tablettes d'opium dont chacun disposait. Sans un mot. Le Capitaine Scott avait choisi d'affronter la mort en face. Facétieux destin, la tempête avait cessé. La plus belle journée depuis des semaines.
Ils avaient atteint le point le plus éloigné de la civilisation sur Terre, le bout du monde, une autre planète. Ils avaient franchi la Grande Barrière de Ross, étendue de glace infinie, des montagnes culminant à plus de quatre mille mètres où ils durent éviter des centaines de crevasses dissimulées sous la neige rabattue par les vents depuis des millénaires comme autant de pièges mortels. Et, avant d'atteindre le Pôle Sud, le dernier morceau de terre, ils durent affronter l'immense plateau polaire où l'on est fouetté par les vents les plus violents et les plus glaciaux du globe.
Et maintenant que l'on avançait vers la nuit polaire, chaque jour avait été plus rude que le précédent. Si l'enfer était une fournaise il ne pouvait être pire que cet endroit.
Il n'utilisa pas les dernières forces dont disposait son organisme pour tenter d'atteindre le prochain dépôt de vivres distant de seulement onze miles. Comment aurait-il pu rentrer alors qu'il avait perdu tous ses hommes ? Il préféra donner une sépulture à ses compagnons.
Depuis le début de cette entreprise il avait gardé la foi. Il était resté noble dans la défaite, devancés par les Norvégiens.
Son journal, tenu jusqu'à ce jour, serait son testament. Il y avait rédigé des lettres à l'attention de tous, de ses proches, de sa femme.
Une seule personne envahissait son esprit, le Norvégien. Il éprouvait de la haine.
Le Norvégien, qu'avait-il de plus que moi ? Rien ! De la chance, oui juste de la chance, et puis quoi ? Il était convaincu que l'expédition rivale avait rallié son camp de base.
Et moi… À attendre que la mort vienne me prendre… Me retrouvera-t-on ? Se souviendra-t-on seulement de moi ?
Le froid et la faim étaient tels, nul ne peut imaginer pareille souffrance. Son esprit demeurait parfaitement lucide. Croyant inébranlable, il se surprit à penser qu'il aurait pactisé avec le Diable pour inverser les rôles. Il se remémorait ce télégramme, reçu lors d'une escale à Melbourne alors qu'ils faisaient déjà route vers l'Antarctique, lui faisant part des intentions de ses rivaux d'entrer dans la course. Un coup en traître. Et cette lettre pleine de condescendance laissée au pôle, tant de fois il l'avait relue depuis ce 16 janvier 1912.
Le Norvégien, froid, implacable, calculateur, sans scrupules. Est-ce donc cet homme qui deviendra un héros ? Il ne croit même pas en toi Seigneur ! Lui, aurait abandonné ses compagnons affaiblis pour maintenir le pas. Maudite tempête, j'aurais dû connaître la gloire en ramenant mes hommes. Combien de temps s'écoula pendant qu'il ressassait tout cela ? Il versa une larme. Lui, aurait abandonné ses compagnons affaiblis… Ses compagnons affaiblis auraient mis fin à leurs jours avant de ralentir le pas, et lui aussi.
Seul dans son sac de couchage, dans sa tente, Scott comprit qu'il avait basé son expédition entière sur des choix hasardeux. L'emplacement du camp de base, ce dépôt de vivres prévu plus au sud, l'équipement, son refus d'utiliser les chiens… Et les hommes, inévitablement. Il voulait être un héros, son obstination l'avait perdu.
À présent son corps tout entier était raide, il ne frissonnait plus. Sa conscience l'abandonnait. Son système respiratoire cesserait bientôt de fonctionner entraînant l'arrêt cardiaque. Mais cela il n'aurait pas à l'endurer. Il était temps d'aller prendre place auprès du Seigneur tout puissant. Mais il ne pria pas. Il pensait toujours au Norvégien, au fossé qui les séparait. Il l'admirait, le Norvégien, Roald Amundsen.

Nouvelle de François Cucchi

Les images présentent :
- L'expédition Scott,
- Robert Falcon Scott avec son journal.