jeudi 12 décembre 2019

Les Chutes, de Yassi Nasseri


Un matin il s'est levé, s'est habillé. Comme tous les autres jours. Et il est parti.

Personne ne l'a jamais revu. On l'a attendu pourtant, des semaines et des mois. Il nous avait tout apporté, tout appris de cette manière de vivre. Construire des cabanes. Avoir des murs solides, des toits qu'aucun vent, aucune tempête ne pouvait emporter. Nous on n'aurait jamais pensé faire des constructions aussi lourdes, aussi ancrées. On aimait mieux nos pirogues. Filer dans l'eau, vite, se faufiler entre les roches plantées dans l'eau. Aller vite, éviter de prendre le mauvais virage. Parce que les chutes ne pardonnent pas. Et tomber de haut c'est nécessairement la fin.

Pour lui ç’avait été un début. On l'a trouvé un jour frigorifié, trempé jusqu'aux os, pris dans des nausées tant il n'avait rien trouvé à se mettre sous la dent, accroché sur sa tour, son rocher salvateur. On se méfiait des blancs mais celui-là nous a plu. Son regard était une musique, une musique de chez nous. On l'a recueilli, on l'a traîné avec nous des mois et des saisons, partout où on allait. Il se blessait, on le soignait. Tout ça c'était au début. Avant qu'il nous apprenne sa langue, avant qu'il nous explique ses mots. Sédentaire. Voilà le mot qu'il nous a appris. Il a pris son temps. Puisqu'il avait appris à vivre comme nous on a voulu l'écouter. Grotesque, farfelu, son monde devait être fou. Oui. Sa folie nous a gagné. On s'est installé, dans cette forêt. On a coupé les arbres. On a balayé le sol. Cette terre si peu profonde, a lâché sa végétation sans montrer de résistance. Oui, la terre balayée aplatie... Il nous a montré les formes de son esprit, le carré par exemple. Un très grand carré qui allait devenir notre village.

Il est parti ce matin-là. Il a abandonné notre village. Il avait dû sentir que ses frères arrivaient. Heureusement on a quitté le village, nous aussi. Quand on a vu qu'il n'allait pas revenir, on a repris nos pirogues, on a retrouvé notre rivière, notre fleuve, nos chutes. Et à chaque fois que le fleuve s'agite et s'énerve, nous siffle la symphonie de la chute proche je repense à lui, la première fois qu'on a dialogué comme il disait.
Iguazú
C'est ton nom, tu t'appelles Iguazú ? 

Nouvelle de Yassi Nasseri
Pour lire la nouvelle en corse, traduite par Marc Biancarelli et publiée sur Tonu è Timpesta cliquez ici.

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